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Critiques de livres

Francis Dannemark
Le grand jardin
Paris
Robert Laffont
2007
256 p.

Album de famille
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 148

Francis Dannemark nous a accoutumés aux récits brefs. Avec un art évident de conteur qui s'empare d'un fait, d'une ambiance, d'une portion de temps qu'il déploie avec économie et intensité ainsi que l'atteste La nuit est la dernière image, publié il y a 25 ans et réédité il y a quelques semaines. Dans une ville bordée par le désert, un homme et une femme se trouvent en un moment d'exception, de ceux qui suspendent le mouvement du temps. Un instantané de l'infime, à la limite de l'indicible. Le grand jardin, son dernier roman, surprendra donc certainement. Non seulement par sa taille, plus de 250 pages, mais surtout par la nature et la forme du récit. C'est une famille complète dont nous suivons la saga sur près d'un siècle. De brèves séquences se succèdent, tentant de démêler les fils de destins tortueux. L'histoire pourrait débuter en 1955, mais elle puise ses racines au début du XXe siècle, à l'époque des grands-parents du couple de jumeaux autour duquel s'articule la narration, et se risque jusqu'à la fin du siècle en compagnie des enfants de ces derniers. Les deux garçons reliés par leur naissance double, Florent et Paul, connaissent des destins différents : l'un est musicien de jazz et producteur de disques tandis que l'autre est scientifique et enseignant. Pour balayer tant d'années, il faut aller à l'essentiel. En séquences courtes, mais fortes, l'auteur déploie une multitude de scènes rapides. Il est question ici des amours et désamours qui donnent vie à la famille, des déplacements de la campagne stavelotaine vers les villes, des métiers manuels vers ceux, incertains, du savoir et de la création. Ce petit monde n'est pas triste et les figures défilent comme une galerie de personnages. Surgit aussi un couple de nains hongrois, qui reçoit asile et réapparaît épisodiquement. Mais c'est sans nul doute dans les méandres des destinées qu'il faut chercher le plus fin de l'histoire. Dans les échecs, les tourments et les fragiles bonheurs sentimentaux, les flux et reflux de la vie de couple, la folie douce et parfois amère qui s'empare des êtres, brouillant les liens conjugaux et filiaux. Ajoutez-y un zeste d'incongru, voire de merveilleux, de ce fruit de l'improbable que l'on cultive volontiers dans le grand jardin de Belgique francophone, et voilà que vous tenez en mains un récit attachant. De cette fresque singulière où alternent la gravité et le comique, sourd une vision poétique généreuse de la société des hommes et des femmes, une forme de tendresse réaliste pour l'espèce et ses sursauts inopinés.