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Critiques de livres

Thierry Debroux
Darwin
Carnières- Morlanwelz
Lansman
2007
59 p.

Dieu vs Darwin
par Daniel Arnaut
Le Carnet et les Instants n° 147

Depuis quelques années, la petite ville américaine de Dover, Pennyslvanie, focalise les regards du monde. En 2004, en effet, un professeur de biologie est contraint de démissionner. En cause : son refus du créationnisme, une doctrine qui rejette les acquis du darwinisme et affirme que les êtres vivants ne sont pas le produit de l'évolution et de la sélection naturelle, mais le résultat d'un «projet intelligent» (intelligent design) où se reconnaît la main de Dieu. Une décision de la cour de justice, en 2005, viendra mettre un terme – provisoire – au débat en déclarant le créationnisme inconstitutionnel, au nom de la séparation de l'Église et de l'État. Mais ne nous y trompons pas : ce n'est sans doute que partie remise, et les créationnistes, soutenus par Bush et les églises évangélistes, cautionnés par un fraction des scientifiques eux-mêmes, sont loin d'avoir dit leur dernier mot. Si, de ce côté de l'Atlantique, une telle controverse peut prêter à sourire, elle est aux États-Unis le lieu d'un affrontement virulent entre progressistes et tenants de l'ordre moral. Et quand on sait que ce qui se passe aujourd'hui là-bas préfigure, à bien des égards, ce qui se passera demain chez nous, on aurait tort de n'y voir qu'une simple péripétie. D'où l'actualité de la pièce, sobrement intitulée Darwin, que Thierry Debroux lui consacre.

Elle a pour personnage principal Sally, enseignante en biologie et darwiniste convaincue. Sally est l'objet, de la part du conseil pédagogique, de manœuvres d'intimidation qui visent à la persuader de renoncer à ses idées. Son collègue et ami Stephen, protestant fondamentaliste, cherche à l'y amener en douce. Cèdera-t-elle à la pression croissante, ou gardera-t-elle ses convictions, au risque de perdre son emploi? Tel est l'enjeu principal de la pièce. Autour de ce fil conducteur se nouent diverses intrigues secondaires. Anton, son mari, spécialiste de la physique quantique, dont les recherches sur les phénomènes vibratoires et les coïncidences contredisent le créationnisme, obtiendra-t-il le financement – octroyé par une fondation aux mains de ces mêmes créationnistes – qui permettrait à Sally de renoncer à son poste? Lucy, sœur cadette de Sally et enfant terrible de la famille (dont le nom est une allusion transparente à celle qui fut considérée longtemps comme l'ancêtre de l'humanité), gardera-t-elle l'enfant qu'elle porte à la suite d'une relation qu'elle a eue avec Anton? Le père de Sally, éminent scientifique qu'une chute a précipité dans la coma, reviendra-t-il à la vie?

Cette courte pièce abonde en considérations philosophiques ou éthiques sur le hasard et la nécessité, sur le chaos et l'incertitude, sur la compassion envers l'autre, qui nous aide à supporter le pessimisme engendré par les théories darwinistes, sur cette «solitude qui nous rend libres» et fait notre grandeur, sur la culture qui nous permet de dépasser notre condition d'animaux jouets de leurs pulsions. Par la force des choses, ces thèmes ne sont souvent qu'effleurés. À quoi l'on répondra qu'une œuvre littéraire n'a pas pour but de résoudre des problèmes, mais de les (ex)poser dans leur complexité et leurs contradictions. Ce que l'auteur réussit à faire par une conduite habile de l'intrigue, le recours à une langue simple et à des personnages bien typés. Et aussi par de belles trouvailles dramaturgiques : ainsi le père de Sally, seulement désigné ici par le chiffre 413, du numéro de sa chambre d'hôpital, assiste-t-il, par l'effet d'une sorte de clairvoyance, aux agissements des autres personnages, sans être vu par eux et sans pouvoir intervenir sur leur destinée.

Une pièce qui, dans les limites de son propos, nous confronte avec légèreté et intelligence à une question d'actualité, et à ce titre est susceptible de toucher un vaste public, celui des enseignants entre autres, qui y trouveront un tremplin idéal pour sensibiliser leurs élèves aux questions débattues.