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Critiques de livres


Raoul VANEIGEM
Déclaration des droits de l'être humain
Le Cherche Midi éditeur
2001
192 p.

De l'œuvre au noir à l'œuvre au rouge

Pour vous qui n'auriez lu ni le Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes gé­nérations, ni Le livre des plaisirs, ni Pour une internationale du genre humain, Raoul Vaneigem dresse, avec une santé insolente et une intacte vigueur de plume, l'inventaire « des droits que chacun [...] côtoie le plus sou­vent sans y accéder — par peur ou ignoran­ce » ; ribambelle de dé­sirs ici devenus, à l'abri de tout contrat, des droits : entre autres à la colère, à la parure extra­vagante, à la création, à l'innocence, à la poésie de la vie, aux affinités électives, à la paresse, au luxe, à l'erreur, à l'excès et à la modéra­tion, au doute et à la certitude, au progrès et à la régression, puisque aussi bien la destinée est dessinée comme un la­byrinthe.

En une espèce de lon­gue litanie aux 58 ver­sets (« Tout être hu­main a le droit de... »), Vaneigem l'insatiable entretient ses grandes espérances, qu'on quali­fie ici et là d'utopie, quand celle-ci est « le simple désir de se comporter en être humain », de se soustraire au sursis de la survie. Parvenus à la fin du deuxième « et dernier (prophétise Vanei­gem) millénaire de l'ère chrétienne », nous vivons enfin le temps de la mutation, du renversement de la perspective. En té­moigne le titre même du livre : puisque l'humanité s'acquiert, se conquiert et s'af­fine, on passe d'une déclaration des droits de l'Homme à celle des droits de l'être hu­main, et la phrase de Vaneigem de tisser la métaphore qui assure la transmutation de l'abstrait au concret : « Nous n'avons que trop cédé à l'abstraction qui avance les yeux au ciel et ignore l'abî­me qui s'ouvre à ses pieds. »

Ressassement, entasse­ment des mots, vio­lence verbale : telles sont les armes que, depuis toujours, Va­neigem met au service de son amour de la vie et de sa volonté de vivre, « désir de tous les désirs ». Il croit en une nouvelle alchimie qui construira une so­ciété fondée non plus sur la valeur d'échange mais sur celle d'usage, non plus sur le lucre mais sur la gratuité, non plus sur la vo­lonté de puissance mais sur une authenti­que égalité : de l'œu­vre au noir (où tout se corrompt) à l'œuvre au rouge (où flamboie la passion).

Pol Charles