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Critiques de livres

Serge Delaive
Poèmes sauvages
Bruxelles
Maelström Éditions
2007
39 p.

De la poésie avant toute chose
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 151

Défini en quatrième de couverture comme un livre de l'instant, le bookleg a tout pour plaire et offre ce que l'on attend d'un cadeau plein d'attentions. Élégant, habillé avec raffinement, soigneusement agrafé et manipulable sans risque de se dégrader quand on l'ouvre, il intrigue souvent par le choix de son titre et davantage encore par le dessin ou la photo qui l'enrichit. Ces petits volumes étant numérotés (la trentaine est déjà dépassée), on ne peut qu'avoir envie de les collectionner, pour les lire, puis les ranger à portée de main pour les reprendre de temps à autre, comme en passant, parce qu'ils invitent à la consultation, s'ouvrant par le milieu et se dépliant selon le bon vouloir. En voici quatre dédiés à la poésie, de fond ou de forme parfois, d'inspiration toujours.

Le n° 30 est un recueil de Serge Delaive, Poèmes sauvages, qui rend justice à son titre, même si celui-ci est venu au poète par une réflexion de Jacques Dubois qui en est discrètement remercié. Sauvages par de fulgurants paysages, plausibles ou totalement imaginaires, où voisinent Pablo Neruda ou Célia, la petite fille rieuse, et tous les amis, autres poètes honorés avec émotion, du plus proche, promeneur des mêmes sentiers, liégeois pour tout dire, au plus lointain, venu d'un château en Espagne ou d'ailleurs.

Stéphane Lambert
Impacts des balles à blanc
Bruxelles
Maelström Éditions
2007
31 p.

Nommés ou clandestins «sous le manteau», ils sont là pour permettre au poète de dire je pour tout le monde, lui donner la parole et autoriser sa folie, la saluer, l'aimer. Qu'elle entraîne avec elle l'art «sous toutes ses formes», le sexe ou le cerveau, elle est là pour le plaisir des yeux, des sens, de l'esprit et pour le rêve parce qu'elle chante en toutes les langues. Le danger n'est pas loin pourtant, avec la tentation du noir, de l'égarement, du pire peut-être, mais l'appel amical, le rire de l'enfant, le temps et surtout les mots sur la page ont le secret pouvoir de sauver le plus sauvage.

Rimbaud en personne, du moins en photo, le plus jeune «de tous les morts sublimes» nous accueille en pleine page de couverture du volume de Stéphane Lambert (le 31) et, malgré le brouillage et les taches de cet ancien autoportrait, on croirait le voir sourire. N'était l'effet immédiat du titre rouge sang, Impacts des balles à blanc, contradictoire, nostalgique de la vie ou de la mort indifféremment. Le premier texte dira comment dépasser la douloureuse opposition entre l'empreinte définitive des 17 ans et la vraie dernière phrase écrite de Rimbaud à la veille de sa mort. Le choix des signes et rien d'autre. Entré en poésie donc, même si le texte est en prose, l'auteur poursuit sa lecture. De Duras, plurielle : la vieille dame immobile sur un balcon des Roches noires, en bord de mer, l'enfant Marguerite, la jeune fille, la sauvage, l'écrivain, la Duras enfin, star à la gloire tardive, une icône. Puis c'est au tour de Zoran Music, de Vincent Van Gogh, de Paul Klee, de Beckett, de Rilke de veiller sur le narrateur de ces récits toujours intimes. Car on devine que sous cette approche de figures tutélaires, sans lesquelles il ne ferait pas bon vivre et il serait sans doute impossible d'écrire, c'est de lui qu'il veut parler.

Dominique Massaut
Poèmes anxiolytiques
Bruxelles
Maelström Éditions
2007
35 p.

Dominique Massaut entend bien «Casser le compteur / des cliquetis d'eau tris-te», peut-être aussi «Mourir un peu / sans gravité», dans ses Poèmes anxiolytiques, 33e bookleg qui tenterait l'équilibre entre des sommeils vifs et des éveils languides. S'exercer à de fausses violences, alterner honnêtes pensées et mauvais coton à filer, douceur et incandescence et se taire en musique seraient sans nul doute une entrée en matière acceptable, à condition de continuer à jouer. Avant de s'abîmer en «sursaut dans un dormir infini, à épeler, à dessiner jusqu'à l'illisiblement petit, le poète se devra d'encanailler les mots, d'asticoter la langue en mélangeant avec malice les moindres repères connus jusqu'à bégayer les plus innocentes onomatopées. Mais nous saisissons au passage quelques fréquences : tailler, émonder, scalper; transpercer, lâcher, instiller sont autant d'attaques pour rire avant le refrain qui efface tout ou presque.

Ita Gassel, le père de Nathalie, lui a un jour fait cadeau de poèmes. À son tour, elle lui offre cette mise en forme, en volume, en bookleg, le 34e, en y incorporant, outre son émotion, des illustrations de sa mère, Marie Salbeth. Ces Poèmes ne déroulent pas un fil chronologique, au début la fin, à la fin, peut-être le début. Cet ordre a-t-il un mystère ou n'en a-t-il pas? On devine en tout cas que ce n'est pas indifférent. Le premier poème date de janvier 1992, l'année, le mois, on le verra plus tard, de la lutte contre le cancer.

Ita Gassel
Poèmes
Bruxelles
Maelström Éditions
2007
31 p.

Or ce beau texte vient de loin, du plus profond de la gorge du poète, «dans la broussaille de chair emmêlée / dans la broussaille d'avant la voix / d'avant la parole et le chant [...] un chant d'avant le chant». Il peut introduire tous les autres textes, comme il peut leur servir de conclusion, même si la facture en est différente. D'autres, en effet, de 1948, mais aussi de 1981, sont en vers réguliers rythmés, rimés, de préférence octosyllabiques et en strophes. Certains alternent la prosodie classique et la rupture : rejet, mise en évidence, des-sin parfois, en sortes de calligrammes. Le poème de la maladie (qui commence ainsi : «Que la vie est lente à surgir») se consolide par des répétitions qui prolongent l'état de veille, maintiennent la soif de liberté. De longues périodes permettent ensuite au répit de s'installer, font place à une forme nouvelle de poème en prose. Après un retour sur un texte de jeunesse, le recueil va vers sa fin avec un fragment de journal où certaines déclarations ne sont pas sans évoquer celles que brandira Nathalie. Coïncidence, filiation, proximité d'élection...