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Critiques de livres


Marianne DU MARAIS
De la place du chinois dans la vie quotidienne et autres récits intimes
Ed. Talus d'approche
1994
115 p.

Récits aux JE multiples

Si vous donnez toute votre confiance à Marianne du Marais, vous risquez d'être mené en bateau. D'être tenté de croire qu'elle coïncide avec le JE de ses récits intimes et que tout ce qu'elle y ra­conte est vrai. Vous auriez tort. Et raison. Tout autant que ceux qui mettraient en doute ce qu'elle écrit et n'y verraient que du mensonge. Que du romanesque. La vérité vivant — plus que probablement — dans la zone littéraire de l'entre-deux dite du men-tir-vrai. Car le JE de ces 31 textes, tellement vraisemblables quand ils se développent autour de la littérature (Essai sur Ernest Renan...} ou d'une exposition (A propos d'Europalia Portugal à Anvers...}, a plusieurs identités. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, puisque l'écrivaine ne prend jamais la peine de l'identifier, se contentant de varier certains détails pour indiquer que l'on n'a plus à faire au même personnage. Mais en en reprenant d'autres en écho pour prouver qu'on est toujours dans le même livre. Alors on peut penser que ces JE sont des petits « je », particules d'un grand « JE » éclaté qui n'arriverait pas à se ressouder pour n'être qu'un (qu'un personnage de roman) à partir de l'enfant, de la femme, de l'homme qu'il est, a été et sera toujours.

Afin de retourner à ce temps originel, uni­taire où la multiplicité et la duplicité n'exis­taient pas, Marianne du Marais, dans ce premier livre, phantasme, entre autre, sur l'apprentissage du chinois, comme autrefois Roland Barthes rêvait du japonais, de son étrangère et de sa calligraphie. Grâce à cette langue, elle essaie de se redire, de se redéfi­nir en cherchant à ne pas se laisser égarer dans tous les coins et recoins sombres de notre langue maternelle, de notre langue qui ment pour nous. Mais que ce soit avec ses rudiments de chinois ou avec ses récits intimes elle écrit « dans les décombres de ses interrogations (Qui suis-je ?, Où est-ce que j'habite ?, Pourquoi je vis ? Pourquoi je meurs ?...), toujours découpée et rassemblée, recousue comme par un chirurgien. » Qui aurait laissé des cicatrices d'où suinte­rait la mélancolie, cet état qui se construit, tel un tombeau, autour de l'absence. Mais la sépulture (ces récits dits intimes, avec leurs indications strictes, presque ma­niaques de lieux, de dates qui se révèlent, le plus souvent n'être que des prétextes pas toujours fiables) s'effrite : le tout ne fera ja­mais un roman et chaque partie ne pourra jamais vivre seule (trop de choses se répon­dent d'un texte à l'autre). Le JE reste donc divisé, blessé, esseulé, absent à lui-même, laissant le lecteur un peu hébété, intrigué par le statut de ces textes qui, au bout du compte, forment un livre où la fiction parle de son auteur — et de nous — bien au-delà de toute autobiographie, incapable qu'est ce genre à dire la discontinuité de l'être, si l'être existe.

Michel Zumkir