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Critiques de livres


Luc BABA
De la terre et du vent
Editions Luce Wilquin
coll. Smeraldine
2002
138 p.

Mal d'enfance

 De la terre et du vent, de Luc Baba, se passe à Londres, mais un Londres qu'on devine en arrière-plan, à peine esquissé, à peine évoqué par quelques noms de rues. L'essentiel est ailleurs, dans le mal de vivre du personnage central, Jim. Jim travaille dans une gare, inspectant les bagages avec un détecteur de métaux. Il a une femme, Juliet, et deux en­fants, Mike et Judy. Tous les lundis, il dé­jeune dans un snack de la gare avec Laura, qui est son amie et sa confidente. Jim n'est pas bien dans sa peau. Il n'est pas facile à vivre, toujours à rentrer tard, laissant sa compagne seule avec les enfants. D'ailleurs, un jour, celle-ci partira et ira vivre chez un ami. « Oui, il s'attendait à cela, évidem­ment, parce qu'il était méchant. On ne va pas rester avec un homme méchant, au cas où, un soir, il voudrait du thé et un maudit morceau de cheddar », soliloque-t-il. Jim souffre, se regarde souffrir. Son malaise s'est aggravé depuis qu'il a commencé la lecture du cahier vert qu'un vieil homme, un écrivain juif, lui a tendu un soir de pluie, alors qu'il sortait de la gare. Un vieil homme qui paraissait savoir tout de lui et qui lui a avoué avoir écrit son histoire sous la forme d'un journal, qui commence en 1942, l'époque de sa rencontre avec Sam, le père de Jim. Jusque là, Jim savait seulement ce que ses parents adoptifs, Dad et Mommy Jane, lui avaient dit : « Ton père ? C'était un gitan, voilà, mais tu as eu de la chance, toi. Nous avons pu t'adopter très tôt ». Pourtant, Jim a mal à son enfance. « Comme le monde est méchant depuis qu'il souffre, c'est pas croyable. Il y en a même qui rient, d'un rire salé qui tombe sur les plaies. Car les gens ne savent même pas qu'il faut être bon avec les tristes (...) » Un mo­ment il songe à partir, rejoindre le pays des siens, les Tsiganes. Mais il se ravise, parce que sa petite fille le lui demande et, sans doute aussi, parce qu'il y a Laura, chaque jour plus proche...

L'an passé, Luc Baba avait remporté le prix Pages d'Or pour son premier roman, La cage aux cris. Pour passer le cap, réputé pé­rilleux, du deuxième livre, il a choisi une histoire triste, toute en intériorité et en émotion, qu'il a construite sur l'imbrication de deux récits. D'une part, l'histoire ac­tuelle de Jim qui se déroule au jour le jour, dans une temporalité serrée (quelques se­maines, probablement) ; de l'autre, dans une alternance soulignée par le choix de l'italique, des moments du cahier écrit par le vieil homme et qui s'étalent sur une ving­taine d'années. Une construction légère, ce­pendant, suffisamment elliptique pour évi­ter la redondance. Une légèreté qu'on retrouve dans le style, une prose souvent poétique, aux images qui ont une manière très particulière de coller pudiquement aux émotions et de traduire sans pathos l'au­thenticité des sentiments. Un livre convain­cant dans sa brièveté, une histoire qui pèse ses mots.

René Begon