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Critiques de livres


Robert DELIEU
Le vent du plateau
Memorypress
coll. Merlerouge
2005
121 p.

Les odeurs disparues

On connaissait surtout Robert Delieu   comme   comédien   et metteur en scène, fervent de poésie aussi, lui qui en a dit souvent et qui a fondé et dirigé la Maison de la Poésie de Namur.

Aujourd'hui, c'est lui qui écrit, se re­plongeant dans certains moments de son enfance qui semblent avoir particu­lièrement marqué la construction de sa sensibilité et de son être adulte. «Je me demande aujourd'hui si ce n'est pas dans ces odeurs de peket, de café, de tarte au sucre, de massepain et des spéculoos, dans cette chaleur familiale et ces premiers ap­plaudissements que s'est dessiné mon ave­nir », dira-t-il des repas de fêtes dans son village condrusien. A travers ses souvenirs d'enfance, il nous parle surtout d'un pays, le plateau d'Hubinne dans la province namuroise, en une sorte d'ode naturaliste et nostal­gique. Robert Delieu se fond dans cette campagne qui parle à travers tout le livre, dont elle est personnage à part en­tière, toute en bruissements et en odeurs. « Une fois pour toute, dans l'en­fance, j'avais pris le pouls de Paulea [nom romain de la rivière du Bocq], Aujour­d'hui, il se confond avec le mien. » Le récit déborde d'une tendresse un peu triste pour un monde perdu, une société paysanne, simple et bonne, aux odeurs de croûte de pain chaude, ro­buste et courageuse, et pour Delieu, avant tout féminine. La figure centrale est celle de la grand-mère paternelle, Mélanie, chez qui la famille du petit Robert ira se réfugier de 1940, après une courte évacuation en France, jus­qu'à la libération. Mélanie qui seule, avec sa fille après la mort du grand-père, fait vivre la maisonnée, cultive les lé­gumes, soigne les bêtes, « renfonce des clous » en prévision des intempéries, prépare tartes et pains dans le fournil, cœur de la maison. La mémoire s'égrène en descriptions des jeux de gamins sur ce plateau battu par les vents, du quoti­dien d'un village d'agriculteurs et d'une famille « ramoncelée » par une guerre d'abord lointaine, qui n'apparaît que dans les souvenirs de l'oncle engagé dans la précédente, celle des tranchées, et dans l'évocation de ceux y ont perdu la vie. Raymond, le plus jeune fils de Mélanie, « son plus grand amour », en­seveli sous un bombardement allemand, deux beaux-fils aussi, l'un disparu, l'autre prisonnier sans retour. Les événe­ments rattraperont cette campagne qui se croyait à l'abri et qui se fera résistante à l'arrivée de l'Occupant. Bruit des bottes, irruption de patrouilles dans les maisons, vrombissement des avions la nuit. L'enfance apprend désormais le si­lence et la conscience du temps. C'est l'époque de la « grande peur », où les parents doivent apprendre aux petits à se taire quand Légion wallonne - Brigade Wallonie, les « chemises noires » adju­vantes des divisions SS, viennent les in­terroger à l'école en leur offrant de la soupe et du chocolat. La fin de la guerre sera « la fin du film, la fin d'une enfance à la campagne. Le reste appartient à un autre temps ». La fin du livre aussi, sur un Robert Delieu adolescent, qui entretient précieuse­ment les traces de ce qui devient déjà passé.

Laurence Vanpaeschen