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Critiques de livres

Etre ou ne pas naître

Il n'entre pas dans les principes — déjà l'objet de tant de discussions ! — du Car­net et les Instants de rendre compte des ouvrages publiés à compte d'auteur. Si l'on fait ici exception à la règle, c'est parce que le texte dont il est question, De l'impertinence de procréer, aurait eu peu de chances d'être édité dans le circuit traditionnel du livre. L'expli­queraient en effet son ampleur (un gros syllabus de 400 feuillets), sa mise en page (où abondent les variations typographiques, les vignettes, et trop de caractères gothiques), et le fait qu'il soit l'écrit d'un inconnu ayant pris pour pseudonyme Théophile de Giraud (on apprécie l'allusion à Théophile de Viau, mais certains risquent de confondre l'alter ego de Moebius avec un moins comique général de l'armée française). Bref, autant d'in­convénients si on envisage une publication selon les seuls critères économiques. Arborant pour étendard sa condition d'avoir été l'un des lauréats 1998 de la Fon­dation belge de la Vocation, Théophile de Giraud propose dans cet ouvrage moins un projet d'existence (que faire de sa vie ?) qu'une remise en question de la maternité. Pour étayer sa démonstration, il sort de sa bourse un corpus d'auteurs renommés, ayant déploré les médiocrités de la condi­tion humaine, d'Ovide à H.G. Wells en passant par le Dalaï-lama. Cet éclectisme littéraro-philosophique sert de garde-fou autant que de commode caution à la thèse défendue : « le nourrisson est bien cet em­plâtre que les médiocres apposent sur leurs frustrations », les parents sont « de mes­quines brouettes à patrimoine génétique », et la sexualité de l'humanité « réside dans les fantaisies du libertinage, non dans les batrachienneries de la reproduction ».

La thèse n'est pas neuve, et on a déjà pu en lire des échos plus argumentes ou plus drôles auprès d'un nombre incalculable d'auteurs que nous apprécions, tels que Swift, Cioran ou Scutenaire. On laissera donc à chacun son libre-arbitre et le soin de se forger une idée sur la question, tout en formulant néanmoins deux remarques. La première : on pourrait tout autant appeler à la rescousse et dans un sens contraire d'autres auteurs ou les mêmes (« Tout en­fant est en quelque façon un génie, et tout génie un enfant », disait Schopenhauer). La seconde, c'est que la lecture de l'ouvrage donne de la femme, « la plus déficiente des créatures » (sic), une image insultante : peu au fait de sa capacité à ne pas engendrer, cette inconsciente « femelle » ne trouverait la justification de sa présence sur terre que grâce aux conseils éclairés que lui prodigue­rait un mâle, évidemment toujours intelli­gent. Ce simplisme de la pensée, qui con­fine au machisme le plus épais, ne saurait convenir à un lecteur qui — en dehors de toute question de procréation — fait de l'homme et de la femme des êtres égaux, exerçant un même droit à la sexualité et au plaisir.

Alain Delaunois

Théophile de GIRAUD, De l'impertinence de procréer, chez l'auteur (24 rue du Comté, 5060 Auvelais).