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Critiques de livres


Raoul VANEIGEM
De l’inhumanité de la religion.
essai
Denoël
2000
204 p.

Homo religiosus

L’épigraphe de l'avant-propos est de Voltaire : « On dit que je me répète. Je cesserai de me répéter quand on se corrigera.» : On se souvient de l'iconoclaste Résistance au christianisme. Mais le seul souci n'est pas, ici, d'écraser l'infâme : « Examiner ce qui subsiste en nous de comportements religieux, jusque dans le mépris le plus avéré de la religion, voilà ce qui m'a paru digne de quelques lignes. » Leçon de préhistoire. Qu'est-ce qui, dans les temps prénéolithiques, préside à la naissance de l’homo religiosus ? Il a délaissé son petit paradis légumier, où se mijote doucement la première cuisine, pour aller à la chasse. S'y exacerbent d'autant plus son agressivité et sa ruse qu'il lui faut délimiter son territoire cynégétique : voici des propriétaires et des expropriés. Le prédateur développera, pour échapper aux aléas du chaos naturel, sa science de l'adaptation : labeur, labour, commerce. C'est passer ainsi à une « économie d'exploitation » où les paysans s'en remettent aux maîtres du soin de les protéger : « Dès cet instant s'engendre la race fantastique et extraterrestre des Dieux. » C'en est fini de l'homme de désirs : lui succèdent l'homme « producteur et produit de la marchandise », les appropriations et les guerres, sous le regard narquois de Dieux qui contresignent « la vérité de l'exploitation terrestre » et entérinent « la lâcheté de ceux qui s'y résignent ». Le doigt est mis, in saecula saeculorum, dans l'engrenage. L'esprit de sacrifice, la terreur sacrée, le mal prétendument inhérent à la nature humaine, la conjonction des asservissements économique et religieux, la forgerie des évangiles, la collusion entre la science et l'économie (la théorie darwinienne du struggle for life s'élabore au plus fort de la concurrence capitaliste), la misogynie de l'ensemble des religions (le dalaï-lama vitupère de la femme, « la cité abjecte du corps / Avec ses trous excrétant les éléments » (sic !), la sclérose de l'activité ludique en un rituel rabâcheur, la réussite financière identifiée (par les calvinistes) à la grâce divine, la vente catholique du paradis à tempérament...
A rebours, Vaneigem plaide pour un « dépassement de la religion » au moyen d'un renversement de perspective tel que, si « les désirs avortés engendrent les Dieux, les désirs engendrés les font avorter. » La religion ne serait plus, dès lors, comme elle le fut primitivement, qu'une « alliance universelle entre toutes les formes du vivant. »
La démonstration historique (« Je me contente d'exposer mon point de vue. Le partage, le récuse, l'ignore qui veut. ») à laquelle se livre l'essayiste ne lui interdit (c'est sa pente et sa patte et sa plume de jadis et de naguère) ni l'élégance stylistique, ni la violence imprécatoire, ni le prophétisme tranquille, ni la fidélité nietzschéenne. L'élégance de l'écriture : « une infinie brassée d'assonances, de concordances, de rimes, d'échos dont les secrètes écritures du corps que sont les rêves nous offrent les brouillons. » Quelques subjonctifs témoigneront qu'un discours subversif peut s'offrir les armes du discours de prétendus maîtres.
La violence imprécatoire. A travers des emprunts à Cioran, à Crevel. Contre le christianisme : « la répugnante effigie de son messie Jésus écartelé sur l'arbre mort de la croix. »
Le prophétisme tranquille : « Nous atteignons le terme d'une course folle où la mort menait le monde. Au-delà des danses macabres du passé, nous commençons d'apprendre, dans le tourbillon d'une vie naissante, les premiers pas de l'enfance.»
Enfin, la fidélité nietzschéenne : « Je ne veux pas être suivi, j'aspire seulement à être précédé. »

Pol Charles