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Critiques de livres

Yves-William Delzenne
Ainsi fut dissipé le charme nostalgique
Bruxelles
Le Cri Édition
2006
205 pages

Le soleil voilé de la nostalgie
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 143

L'espace d'un été, un jeune garçon bascule de l'enfance à l'adolescence. Par la grâce insolite, la fascinante liberté d'allure d'un couple d'aristocrates polonais venu d'Europe habiter la grande villa, jusqu'alors déserte, voisine de la maison familiale, à Orlham, sur la côte est des Etats-Unis.

L'espace d'un été, Cyril – enfant unique, timide et solitaire, préférant les livres aux jeux avec les garçons de son âge –, réveillé de «la bienheureuse monotonie» d'une enfance protégée entre grands-parents, père musicien, maman rieuse et tendre, vieille tante originale, jeune oncle ombrageux et vulnérable, découvre, ébloui, effaré, un monde inconnu.

Accueilli en ami par Adam et Lira Orzinski, il s'émerveille de leur beauté, leur désinvolture, leur charme sensuel, le luxe nonchalant d'un décor dont il gardera toujours l'empreinte : «des fourrures en guise de tapis, des chambres jamais achevées, des malles entrebâillées, de la littérature pour le piano...»

Baignades dans la mer, leçons de piano avec Lira, goûters sous la pergola : la vie ressemble à une fête, légère et troublante comme les robes de mousseline dont s'enveloppe Lira, qui paraît sortir d'une pièce de Tchekhov ou d'un jardin de Monet. Mais des secrets douloureux, des blessures indélébiles percent bientôt sous l'harmonie voluptueuse...

Au reste, des rumeurs et des questions acides courent, dans la petite ville d'Orlham, sur ces étrangers qui bousculent, dérangent l'ordre des choses. Les Orzinski sont-ils vraiment polonais? Sont-ils mari et femme, alors qu'à leur voir les mêmes cheveux d'or foncé, le même regard lumineux, on les croirait frère et sœur?

Vingt-cinq ans plus tard, désormais fixé en Italie, Cyril retraverse cette époque enchantée, brutalement close par un drame. Se souvient de la présence magique des Orzinski, au temps où il ignorait qu'ils jouaient au bonheur, à l'insouciance, et faisaient semblant de vivre. Princes en exil d'un monde perdu, consolés seulement «par le soleil de l'amitié ou par celui, voilé et romantique, de la nostalgie».

Yves-William Delzenne nous raconte cette saison initiatique en poète et en romancier, à la fois ému et habile. Plus encore, en esthète. Epris de la beauté d'un geste, la poésie d'une robe, le miroitement de la lumière sur un visage ou sur la mer. Nostalgique d'un sens de l'élégance, d'un goût de la nuance, du raffinement qui doucement, irrémédiablement, s'estompent.

Adam l'avait dit un jour, sur la plage d'Orlham, lorsque Cyril écoutait avidement sans bien comprendre : «On n'efface pas le passé, on le perd, peu à peu, très lentement.»