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Critiques de livres

Guy Denis
Le nu impertinent de Félicien Rops
Bruxelles
Bernard Gilson éditeur
Coll. "Impertinences"
2006
83 p.

Pudeur et impudeur
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 144

Depuis son fougueux essai Félicien Rops, le relaps, paru voici cinq ans chez Bernard Gilson, nous savions la passion de Guy Denis pour celui dont Octave Mirbeau écrivait : «Je ne connais pas un artiste qui sache évoquer la vie avec une plus extraordinaire intensité et dont l'œuvre par les pensées profondes qui s'en exhalent fasse réfléchir davantage. Je n'en connais pas un dont le dessin soit plus admirable, plus personnel, plus serré et plus beau, de cette beauté mystérieuse qui donne aux êtres et aux choses une intelligence, une âme…»

Il y célébrait sur tous les tons l'esprit rebelle, insolent, l'art incomparable, à la fois classique et moderne, frivole et profond, de «son» Rops.

Le revoici, toujours épris de son sujet, lyrique et fin connaisseur, dardant son regard sur Le nu impertinent de Félicien Rops… mais négligeant de préciser que l'essentiel du texte figure tel quel dans le livre précédent! La même amnésie a, semble-t-il, frappé l'éditeur…

Cela dit, on se replonge avec plaisir dans l'univers singulier d'un grand artiste hanté par la Femme.

«L'impertinence du nu est sociale, culturelle, politique, religieuse; soit imposée par la "Culture".» Et elle est d'autant plus vive, provocante, sous le crayon, la pointe à graver ou le pinceau de Rops, que ses nus sont souvent à la fois habillés et déshabillés. Une guêpière, des bas, une jupe haut retroussée, une chemise transparente… exposent et protègent, dévoilent et masquent, révèlent et fardent. «Rops avait compris que l'érotisme et le désir avaient besoin de guides : le vêtement, le sous-vêtement, les gants, les chaussures, les bijoux, voilà autant d'artifices nécessaires pour activer la sexualité.»

Guy Denis nous invite à suivre Rops dans «cette entreprise impertinente de dénudement qui est aussi de dénuement». Déroulant dans les marges une étude du vêtement et de la nudité à travers les âges, les sociétés, les traditions, les modes. Observant que l'époque de Rops, «la plus encaleçonnée et corsetée de l'histoire occidentale», devait forcément être choquée par la vision qu'en donne à l'envi Félicien Rops. Cette nudité qui est, dans son œuvre, exclusivement féminine. Face à elle, lumineuse, voluptueuse, dressée ou alanguie, offerte et absente, l'homme, vêtu de pied en cap, mûr sinon vieux, fait figure de voyeur plus que de conquérant.

Femmes omniprésentes, que Rops dessine comme «les signes d'une grammaire qui articule corruption, péché originel, fin du monde, vice, vie et mort».

Les illustrations en témoignent superbement. Et laissent percer parfois, sous la hardiesse, l'effronterie, la crudité, une douceur en demi-teintes, une vulnérabilité en clair-obscur. Parce que «la femme montre, en cherchant à le dérober, ce qu'elle ne peut défendre et que le spectateur sait qu'elle ne défendra pas».