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Critiques de livres


Joseph ORBAN
Des amours grises, des ombres bleues
Editions Axe
1998
(8, rue Saint-Julien, 4000 Liège).

La mort dans l'âme

Avec son intuition coutumière, Jacques Izoard définit bien le nou­veau recueil de Joseph Orban, Des amours grises, des ombres bleues, lorsqu'il parle d'une « autobiographie en morceaux, émouvante, voire atroce ». Qu'ils se rappor­tent à des souvenirs d'enfance ou se fassent chroniques du quotidien, les textes en effet s'attachent chaque fois à un moment de l'existence, dont l'écriture déploiera l'épais­seur, la charge émotionnelle. Livre d'errances dans la ville, de rencontres éphémères, de dragues même : toujours on cherche le visage complice, même si domine le sentiment d'inaptitude à faire briller les yeux de l'autre. Le regard s'avoue tendre pour toutes les détresses humaines. Il se montre féroce ou se voile d'amertume quand il s'agit d'épingler la mascarade du jeu social. Livres d'absentes, car les amours s'épuisent. Pour les célébrer une dernière fois, quand la maison s'est vidée de ses meubles, ne reste qu'un « testament de cendres » où rougeoieront encore les lumineux instants de ma vie inutile. Dans une telle solitude, les amis sont d'au­tant plus précieux. Orban nous en brosse quelques portraits attachants : celui de l'écrivain que l'on voit chavirer d'un café vers l'aube, de cet autre qui parlait de l'An­gleterre où il aimait aller, et dont on ap­prend la mort en ouvrant le journal, à midi, juste avant de manger. Car la mort est quoti­dienne, et même les amis se transforment en absence. Pour dire, alors, les larmes, ne reste qu'une enveloppe froissée par le chagrin. L'écriture, chez Orban est un effort constant pour ne pas se laisser submerger par la noir­ceur du monde, pour colorer (mais à peine, dans une encre trempée de tristesse indélé­bile) le temps qui enterre la vie. Il faut témoigner du monde sans concession, mais il ne faut pas, jamais, que la grande broyeuse ait le dernier mot. D'où le choix d'une prose poétique, du poétique mêlé au prosaïque, en assumant le risque que parfois, le souci de la séduction verbale, l'effet de style contrecarre l'efficacité narrative. Car le livre est en lui-même un appel, la recherche d'une compli­cité. C'est ce qui le rend si fraternel.

Carmelo Virone

Joseph ORBAN, Désespérément, la ville..., le Daily-Bul, La Louvière, 1999