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Critiques de livres


Marie-Françoise PLISSART
Droit de regards
Editions de Minuit
Suivi d'une lecture de Jacques Derrida
1997
144 p.

Le regard de Marie-Françoise Plissart

La réédition de Droit de regards — un singulier suivi d'un pluriel — est l'une des très bonnes surprises de ce début d'année. Publié en 1985 par les Edi­tions de Minuit, au format d'un album, ce « roman-photo » réalisé par Marie-Fran­çoise Plissart, avec la complicité de Benoît Peeters pour le scénario et le montage, était devenu introuvable. Ceux qui l'avaient eu en mains à l'époque en parlaient avec pas­sion, les autres attendaient. L'attente n'est pas vaine : l'objet est su­blime ! Une centaine de pages composées chacune de photos noir et blanc de forme et de taille différentes, fruit d'une pénétrante et subtile réflexion sur la dynamique in­terne. L'album s'ouvre sur une scène d'amour entre deux femmes. Succession de photos horizontales — elles sont sur un lit — à la suite d'un étonnant cliché vertical et très étroit qui confère un rythme particulier et insoupçonné à ces premières pages. L'une des deux belles se lève, traverse un palais, trébuche en descendant un escalier sous l'appareil d'une photographe. La photo prise se retrouve au-dessus d'un lit dans le­quel sont couchés la photographe et son modèle. Celle-ci, une fois de plus, se lève, arpente des espaces vides et se retrouve phy­siquement au cœur d'un espace représenté par une photo sous cadre, observant un homme et une femme qui ne la voient pas. L'histoire mais peut-on vraiment parler d'histoire ? — se poursuit ainsi, des person­nages entrent, sortent, apparaissent, dispa­raissent, reviennent. Les articulations en sont, non pas une logique temporelle ou spatiale, ou tout bonnement narrative, mais les photos elles-mêmes. Soit que celles-ci fa­vorisent le passage d'une réalité dans une autre, qui devient à son tour tout aussi réelle que la première, soit qu'elles intro­duisent ou réintroduisent un personnage. La beauté de ce Droit de regards, d'où se dégage quelque chose de fascinant difficilement dicible, est de faire pleinement confiance à l'art photographique qui le constitue. Cet ou­vrage unique ne doit rien à la littérature, au récit classique ou à quoi que ce soit d'autre. Tout y est affaire de mise en forme et en es­pace des photos. C'est très ambitieux, extrê­mement abouti, et pour tout dire admirable.

 Michel Paquot