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Critiques de livres

Michel Ducobu
Siège sage : quatrains pour la méditation
Érezée
Memory Press
2007
83 p.

Un ludique lucide
par Quentin Louis
Le Carnet et les Instants n° 151

Au premier abord, le sous-titre de ce recueil pourrait faire craindre un livre sentencieux, voire difficile, d'autant plus que d'ordinaire, les sujets de la poésie méditative — la cosmogonie, la condition humaine, la nature, le sentiment du temps qui passe — n'incitent guère à la légèreté. Grâce à Michel Ducobu, on a la bonne surprise, dès les premières pages lues, de voir éviter cet écueil. C'est que Siège sage parvient à n'être jamais ennuyeux et relève la gageure, au fil de ces 276 quatrains, de faire la synthèse entre une forme dépouillée et une véritable profondeur des thèmes.

Professeur, dramaturge, chroniqueur et conférencier, ce poète discret est également un défenseur de la nature qu'il célèbre à la ville comme en poésie. Observation et respect de l'environnement conditionnent, nous dit-on, sa manière d'écrire et d'être au monde. Dans cet esprit, il a publié depuis 1962, l'année de Tamisance, plusieurs recueils d'une poésie qui fut remarquée tant par Léopold-Sedar Senghor que par Lucienne Desnoues.


Si souvent — trop souvent, diront certains — les quatrains de Michel Ducobu cèdent à la tentation du jeu phonétique, et principalement de l'allitération («mince ascension d'encens», «écureuil curieux», «comme autant d'étoiles d'automne», «d'autres royaumes d'arômes»), ce procédé n'est cependant jamais gratuit et cette apparente ludicité est en quelque sorte le moteur du poème et la garantie: pour lui de se maintenir dans un lucide équilibre entre une pensée grave et le poids plume des mots choisis pour la dire. Parmi divers jeux sonores, Ducobu ne boude ni la rime, ni non plus le sourire du calembour, «rouge gorge d'hiver, au coeur du rhododendron / menu ami de l'homme / la cerise sur le râteau». Il arrive, au détour bucolique d'un portrait de la faune des forêts et des jardins, observée, aimée et racontée dans un harmonieux dialogue, qu'il fasse songer à saint François d'Assise, ou même au Jules Renard des Histoires naturelles. Tous sens en éveil, le poète marcheur démarche le monde. Michel Ducobu nous donne de courtes leçons de sagesse, de celles qui resituent l'homme au coeur de son environnement, et qui donnent à penser que tout reste possible.

D'un bout à l'autre de ce livre tranquille, on sent que le poète Ducobu est aussi un homme à l'écoute des philosophies orientales — il place d'ailleurs en exergue cette belle citation d'une des grandes figures du bouddhisme zen, le Japonais Ryokan : «Ma demeure se trouve à la limite des nuages blancs.» Et même si ici la forme est autre, l'esprit du haïku n'est jamais loin : «Mousse soumise / à l'humeur de l'hiver / tu souris radieuse / d'être encore verte.

Les sobres photographies en noir et blanc de François Ducobu, véritables capteurs de la sérénité, ponctuent ce recueil et le font respirer un peu. Car, et c'est une légère ombre au tableau, l'éditeur a placé quatre quatrains par page. Comme on aurait mieux profité de ces textes dans une mise en page aérée, qui permette à l'oeil et à l'esprit d'accompagner le «méditant» ou simplement de s'évader un peu, après ou à côté du poème... Cela ne va guère dans le sens du propos de ce livre, grand ouvert à l'espace.

Sur ce Siège sage, un poète est assis, entre attente et accueil, au centre d'un monde dont il invite le lecteur à déchiffrer la rumeur. Inspire, acclame, observe, prends-toi par la main sont autant d'injonctions à goûter à la vie dans ce qu'elle a de plus modeste et de plus éphémère. C'est une poésie saine, une poésie debout, qui espère en l'avenir, que nous propose cet écrivain qui médite, mais qui se défend bien qu'on attende de lui un message ou une morale. Car Ducobu, en fin de compte, ne nous propose qu'«un désert de vaines réponses.»