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Critiques de livres


Pol VANDROMME
Malraux, Du farfelu au mirobolant
L'Age d'Homme
Coll. « La Fronde»
1996
73 p.

Un faux grand écrivain : Malraux

De toute éternité, j'ai décrété Mal­raux complètement IL-LI-SI-BLE. Et voici, hosanna, qu'un petit livre noir vient conforter mon opinion. Grâces en soient rendues à Pol Vandromme qui fait, d'une part, œuvre irrespectueuse1 de salubrité publique en déboulonnant une statue aux pieds d'argile, d'autre part figure de précurseur puisqu'il crée un genre litté­raire vachard et jouissif : l'oraison funèbre-dégelée/peignée/déculottée ! Malraux ou le faux grand écrivain, vivant « littérairement au-dessus de ses moyens ». Malraux l'obscur faisant passer son obscurité pour de la profondeur. Malraux déclama­toire, ampoulé, wagnérien, « Bossuet verbomane et trotzkysant », s'essayant à la tragé­die pour s'époumoner et retomber comme un soufflé loupé. Malraux qui ne réussit pas à rencontrer son destin puisque, alors qu'il aurait pu faire un écrivain baroque accep­table, il échoue à être un écrivain tragique : « Le drame de Malraux, c'est qu'avec une intelligence farfelue, il a voulu faire une lit­térature mirobolante. » Malraux se foutant du peuple — ce que de Gaulle avait bien senti ; et on ne portera même pas à son actif (Vandromme, qui pratique l'oubli des of­fenses, ne le dit pas) la création des maisons de la culture, qui dispensent au ras des pâ­querettes un paternalisme socio-cul assez nauséabond. Malraux sachant, avec un culot monstre, se mettre en scène : où l'apparence masque l'absence.

Car Malraux « n'est pas né écrivain ; il l'est devenu. » Et quel ! Et Vandromme d'épingler cruellement les apprentissages laborieux, dont n'ont pas besoin les « vraies natures » d'écrivain, reconnaissables dès leurs pre­mières gammes ; les pillages éhontés (1. la psychologie de l'art empruntée mais jamais rendue à Elie Faure, ce qui incite Malraux à commettre un Musée imaginaire descendu en flammes par Le Musée inimaginable 2 de Georges Duthuit ; 2. la technique narrative du roman idéologique piquée à Ernst von Salomon ; 3. la « littérature-cinoche » avec ses trucs en toc de cadreur et de décorateur) ; la tentation, trop rarement repoussée, d'une espèce de sublime désincarné — on pense aujourd'hui à Bernard-Henry Lévy, vibrionnant, théâtral, histrion bravache à la chemise amidonnée ; l'échec d'une écriture dopée à la parano ( « Pour commander un œuf à la coque, Perken et Garine ont une voix de prophète de l'Ancien Testament. ») ; le cha­rabia mélodramatique, ou sorbonnard, ou feuilletonnesque ; l'absence d'un univers ro­manesque (ni sensualité, ni nostalgie, ni mé­moire heureuse : rien hors l'intelligence — Gide, avec un sens délicieux de la litote, di­sait à Malraux : « II n'y a pas d'imbéciles dans vos livres. » —, mais une intelligence « qui mortifie la vie pour mieux entretenir son illusionnisme ») ; un style parlé qui est trop écrit (en linguiste, je féliciterai Pol Van­dromme d'avoir cité ce pseudo-dialogue : « je pense que l'homme est trop petit pour cela. » « Cela » est complètement sorti, et de­puis belle lurette, du français oral, remplacé par « ça ») ; les formules ampoulées et frimardes (« une vie ne vaut rien, et [...] rien ne vaut une vie »).

Comment, dès lors, naquit, crût et embellit une mystification aussi générale ? Pol Van­dromme l'attribue à plusieurs facteurs. Un certain talent, un talent certain de Malraux pour occuper la place, toute la place, dans la vie et dans ses romans : « II n'y a que Mal­raux, sa jactance, sa concentration volubile, la divergence de ses humeurs confiée à des hérauts sans visage qui ne se donnent la peine que de parler le malrucien. » La nos­talgie française d'une littérature épique, qui se dégonflera, en l'occurrence, en une « épo­pée philosopharde » La biographie d'un acti­viste/intellectuel, d'un révolutionnaire inter­nationaliste. La tentative (avortée) de faire dialoguer l'Orient et l'Occident — offrande propitiatoire à une mode d'époque. L'œuvre est aujourd'hui momifiée. Panthéonisée. « Il n'est que juste, conclut Van­dromme, qu'il aille la rejoindre. »

Pol Charles

1.   Chirac l'avait précédé qui, lors de la panthéonisation/béatification de Malraux, confiait gail­lardement à ses proches: « On se les gèle, ici ! » (Source, généralement bien informée : Le Canard enchaîné.}

2.   Ed. José Corti, 1956 ; il semble que Malraux ait entretenu autour de cet ouvrage une féroce conspiration du silence.