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Critiques de livres

Joseph Duhamel
Paul Émond, vrai comme la fiction
Avin

Comment lire Paul Émond?
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 150

Le plaisir de la lecture, Joseph Duhamel l'a éprouvé en lisant et relisant Paul Émond. À l'évidence, il l'éprouve encore en nous l'exposant et il nous le fait partager. Dès l'abord, parce que son enthousiasme est communicatif, mais surtout parce qu'il a cherché et analysé les raisons de son plaisir, qu'il transmet ensuite sous la forme d'un argumentaire solide. Rien n'échappe à son attention, à son jugement. Les oeuvres sont passées en revue et font l'objet d'un examen critique, tant interne que dans leurs relations avec l'ensemble et leur organisation selon une ligne directrice. C'est ainsi qu'il dégage dès l'entrée de son essai comme un fil rouge, les réseaux de cohérence qui sous-tendent une oeuvre déjà considérable et diversifiée. Il met en évidence les constantes de pensée et de discours lors de la succession des périodes dans la carrière de l'écrivain où un genre – le roman – peut laisser la place à un autre – le théâtre – et puis reparaître, sans que s'interrompent vraiment la dominante d'une thématique et la préoccupation d'une écriture. La mise en rapport des oppositions elles-mêmes, entre comique et gravité des propos, entre lyrisme et ironie dans le ton, souligne tout autant une continuité intime dans la production. En conséquence, une structure binaire permet d'équilibrer l'exposé critique, faisant écho au courant double qui traverse l'oeuvre d'Émond, au point d'estomper volontairement, après les avoir montrées, les différences entre le réel et la fiction, entre le vrai et le faux, jusqu'à fragiliser les écarts, pour le plus grand bénéfice de la dynamique du texte et sa polysémie. C'est dans son introduction dense et déjà didactique que Joseph Duhamel tient à prévenir toute lecture, qu'elle soit ou non découverte, qui s'accomplira lors de l'examen chronologique des oeuvres, non seulement les romans et le théâtre, mais aussi les essais, mais aussi le survol des traductions et adaptations. À quoi correspond une conclusion détaillée où les données sont rassemblées et organisées, toujours avec ce souci de cohérence, en vue de dégager les structures définitives d'une totalité que le sous-titre de l'essai – vrai comme la fiction – résume parfaitement. L'origine de cette formule est attribuée à Emmanuel Levinas. Il n'empêche qu'elle trouve aussi son fondement chez Paul Émond lui-même et s'explique à partir de son expérience de chercheur et de théoricien de la littérature, ce qu'il fut avant d'aborder la création artistique proprement dite. Car c'est une autre constante chez lui, fondamentale, celle-là, la conception de la littérature, d'abord perçue et mise au jour lors de la lecture, puis illustrée et renouvelée par l'écriture, selon ses options personnelles. C'est en démontant les ruses de l'illusion réaliste dans son essai La mort dans le miroir (1974), tiré de sa thèse de doctorat, qu'Emond a pu pointer «le caractère mensonger de toute fiction romanesque qui prétend raconter une histoire vraie, qui prétend cacher son caractère fictif» et qu'il en a identifié les codes de fonctionnement. Après quoi il n'a plus cessé d'en jouer pour son propre compte en exploitant dans ses oeuvres de fiction tous les possibles de la fabrication du réel, sinon leur réalité. Il y reviendra, à propos de l'intertextualité et de l'incidence des références culturelles et littéraires, dans son autoanalyse Une forme de bonheur (1998).

Le cahier de photos inclus dans la monographie de Joseph Duhamel fait la part belle au théâtre : à sa scénographie, ses comédiens, ses décors. Sans oublier l'illustration, les affiches, les collages enfin de Maja Polackova, autre façon d'associer dans un effort collectif de création le jeu et les variations sur l'écriture et de répéter le propos liminaire adressé au lecteur : «Comment lire Paul Émond?»