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Critiques de livres


Jean FLAMENT
Oostende Blues
Noir pastel
Luce Wilquin
oct. 1997
240 p.

Elle adore le «noir» pour lire le soir...

Bruce Mayence se débrouille plutôt bien lorsqu'il s'agit de torcher un brillant polar : il en a publié de fort appréciables chez Métailié et, assez récem­ment, a su inscrire son nom dans la (désor­mais longue) liste des auteurs qui ont pondu un « Poulpe » chez Baleine, en signant La Belge et la Bête (n° 64), croustillant épisode des épiques aventures du fieffé Gabriel Le-couvreur. Mais, pour l'heure, il ne s'agit au­cunement de cela, mais précisément de saluer la naissance de la collection « Noir pastel », voulue, imaginée et dirigée par notre homme, promoteur généreux d'une autochtone litté­rature noire de qualité, chez l'éditrice Luce Wilquin (à Avin/Hannut). Un premier re­cueil de nouvelles, Du Lit au ciel, avait vu ré­pondre présent un certain nombre de spécia­listes du genre « sombre », du chevronné André-Paul Duchâteau à l'excellente Pascale Fonteneau et de la perverse Sylvie Granotier à Olivier Thiébaut ou Gérard Delteil, déjà re­connus, et à juste titre, par nombre d'ama­teurs « éclairés ». Dix-sept auteurs s'y étaient mis pour flirter avec le moment où l'amour fou peut se muer en haine implacable, ces sentiments tenant, comme on devrait le sa­voir, « dans une nuance que le temps et la pro­miscuité délitent ». À ce plaisant rassemble­ment de plumes assassines, fit aussitôt suite un second recueil, Succès damnés, dans lequel s'essayaient pour la première fois à la nouvelle cruelle quelques « pros » du texte (et non des moindres), accompagnés dans l'aventure par quelques jeunet(te)s hasardant leurs premiers mots. L'âme damnée de la neuve collection résuma de la sorte toutes ces meurtrières ten­tatives : « Pour Pierre Béarn, métro, boulot, c'est trop ; Berenboom aura besoin d'un bon avocat ; Cliffs 'esclaffe ; Dartevelle nous met sur orbite ; Pascale De Trazegnies joue les petites filles top-modèles ; Xavier Deutsch cahin-caha va trop loin ; Flament a des ondes néfastes ; Grimmonprez (tiens, un petit nouveau !) pond un chef-d'œuvre ; Leïla Houari coupe les che­veux en quatre ; Robert Janssens (encore un nouveau...) se surpasse ; Lambersy revisite l'his­toire ; Evelyne Lambert (tiens, tiens, une petite nouvelle ?) va du lit au ciel ; Christian Libens pastiche fastoche ; Pierre-Alain Mesplède se pose en adepte de la liposuccion ; Marcel Moreau est plus grizzly que jamais ; Layla Nabulsi se prend des pains ; Jean-Luc Outers panégyrise ; ...et Vrebos écrit des lettres d'amour. » Plus que probablement, le lecteur, « enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit », trouvera, non sans plaisir, « son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison » (comme di­sait qui vous savez) !

Parallèlement aux recueils de textes brefs, la collection « Noir pastel » nous propose aussi des romans. Ainsi en va-t-il d'Oostende Blues de Jean Flament qui, né à Charleroi en 1942, enseigna longtemps à l'École fon­damentale provinciale d'application de Morlanwelz avant d'en devenir le directeur. En sus de la littérature, l'auteur serait fan de jazz : on s'en doute un peu quand on voit le fondant Archie, attachant person­nage de ce livre émouvant, emboucher son saxophone pour pleurer à l'envi son phrasé mâtiné de spleen sous le ciel plombé du « plat pays ». La ville de James Ensor (mais plutôt celle de Caussimon), « Ostende et sa nuit qui crache le blues à chaque coin de rue, à chaque sirène de bateau, à chaque clapotis de ses vagues éteintes », sert de cadre à cette page d'histoire racontée en 1958, soit quinze ans après que Robert Lacroix ait été, adolescent trop sage, l'impuissant témoin de l'assassinat d'un être cher par une cra­pule rexiste. S'étant juré de venger son vieux Joseph, cet involontaire « héros », à force d'une infinie patience, y arrive et la cavale qui s'ensuit le fait échouer dans un hôtel du bord de mer, où il est en proie à la cohorte de ses souvenirs. Il s'y lie peu à peu avec deux personnes : une « vieille belle », Aimée, dont on apprendra qu'elle eut, elle aussi, à subir de la guerre une blessure point encore refermée et Archie, musicien génial rencontré au fond d'un bar de nuit. Ils par­leront. Et nous, nous siroterons « ces mots qu'on cherche et qui ne viennent pas, ces mots cent fois répétés dans l'inconfort de nos silences tièdes, ces mots qui fuient comme des marau­deurs quand on a besoin d'eux, ces mots choi­sis et qui ne veulent plus rien dire quand ils viennent aux lèvres et que l'on n'est plus seul à les entendre... »

André Stas

Bruce MAYENCE présente Succès damnés (nouvelles), Noir pastel, Luce Wil­quin, oct. 1997, 240 p.

Bruce MAYENCE présente Du Lit au ciel (nouvelles), Noir pastel, Luce Wilquin, mai 1997, 236 p.