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Critiques de livres


Georges DAVID
D’une rive à l’autre
Bruxelles
Pré aux sources
Ottawa
Ed. Pierre Tisseyre
1994
160 p.

L'art du temps

Georges David fut longtemps directeur d'une maison d'édition. Aujourd'hui à la retraite, il publie son premier recueil de nouvelles, D'une rive à l'autre. Aussi bien aurait-il pu dire « D'un âge à l'autre», puisque le récit titulaire de son livre, sans doute à portée autobio­graphique, montre comment le fait d'avoir été initié dès son enfance aux joies de la pêche à la ligne a induit, chez le narrateur devenu adulte, tout un art de vivre, presque une vision du monde.

Pour le reste, dix courts récits rondement menés témoignent d'une écriture efficace et quiète. L'ancrage s'y veut réaliste (à la Simenon, mais sans la trouble densité du romancier liégeois), le propos un brin moral, car difficile est la condition humaine. L'auteur ne dédaigne pas l'humour bon enfant, quand il évoque par exemple les mésaventures de deux chasseurs néophytes qui se feront joliment pigeonner, et c'est sur son propre compte qu'il s'amuse, on peut le croire, quand il imagine l'étrange destin de cet éditeur découvrant, dans un manuscrit reçu par la poste, le récit détaillé de la journée qu'il est en train de vivre. L'ensemble ne manque pas de charme et se lit agréablement, même si les textes sans doute, laisseront peu de souvenirs.


Alain BOSQUET DE THORAN
La Petite place à côté du théâtre
Le Roeulx
Talus d’approche
1994
85 p.

Plus ambitieux, plus grave aussi s'affirme le recueil d'André Sempoux, Petit Judas. Ici aussi le volume représente une première pour son auteur, même si deux des nou­velles qui le composent, « Le Congressiste », sa pièce maîtresse, et « Moi aussi je suis peintre » avaient déjà paru précédemment. Comme le titre le suggère, le thème de la trahison est un fil rouge pour cet ouvrage teinté de pluie et de désillusions. L'autre y est toujours celui qu'on a manqué, qu'on a trompé ou fui, et le monde est voué à un triste célibat, tandis que, lumineuse et tendre, la figure de la mère eût seule peut-être réussi à combler le sentiment premier de la séparation — mais elle aussi finit par faire défaut.

La narration, classique et sobre, s'écrit toujours à la première personne du singulier, et si parfois le récit prend la forme d'une lettre, c'est pour souligner l'absence de celle qu'on aurait pu aimer. Les douze nouvelles de Petit Judas offrent ainsi de subtiles variations sur l'échec de vivre, qui semble lourd d'une culpabilité ontologique. Point d'amertume cependant, car c'est plutôt une impression de sérénité résignée qui se dégage de l'ensemble. Le temps trahit les promesses en fleur ; des existences envolées ne restent que des traces, précieuses, dont l'écriture se fait le reliquaire.


André SEMPOUX
Petit Judas
Bruxelles
Les Eperonniers
1994
151 p.

Car l'art, et lui seul, a la vertu de suspendre le cours du temps : Bosquet de Thoran s'attache à cette idée tout au long de son recueil La petite place à côté du théâtre. Cinq récits aux décors volontiers proustiens (une ville d'eau vouée au culte de Wagner, un opéra, un salon de musique où se réunissent des adolescents passionnés) déclinent cha­cun des questions liées au phénomène esthétique : celles que posent la repré­sentation, d'abord, et ses techniques, et les significations dont se chargent les arts comme réponse à la mort. Avouerai-je que je me suis souvent ennuyé dans ce monde si distingué — par méconnaissance peut-être des raffinements, musicaux en particulier, dont l'auteur traite en spécialiste. Mais peut-être aussi l'entreprise de Bosquet de Thoran manque-t-elle d'une économie narrative qui lui permette, sans gauchir son propos, d'avancer ses réflexions dans l'élan du récit ? Seule échappée, pour moi, mais que d'air alors : cette nouvelle intitulée « A la vue du Mont Blanc ». Un jeune homme, souffrant de graves vertiges mais fasciné par la montagne, fera tout pour réussir à l'approcher d'abord, pour la décrire ensuite et en cerner la vérité. Ici enfin le désir prend le pas sur le commentaire, la quête esthétique se fait enjeu vital, et le temps de lire passe comme un songe.

Carmelo Virone