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Critiques de livres


Laurence VIELLE
L'imparfait
Editions de L'Ambedui
collection de poésie du « Lendit »
117 p.

Presque rien

Les poètes auront toujours maille à partir avec le Temps. Qu'ils en accep­tent avec résignation la fuite inéluc­table, qu'ils s'acharnent à clamer « Carpe diem ! » en se persuadant qu'ils détiennent là le secret du bonheur, qu'ils évoquent la larme à l'œil les « soleils révolus » et « les voix chères qui se sont tues » ou encore qu'ils s'autoproclament « voyants », les poètes passent leur vie les yeux rivés sur l'horloge, « effrayante, impassible, etc. ». Pascal Nottet, Laurence Vielle et Véronique Bergen n'échappent pas à cette règle. Le premier nous entretient D'un futur anté­rieur, à travers un recueil protéiforme, ou se mêlent des textes en prose, des poèmes en vers libres et des aphorismes, inédits ou non ; la seconde évoque à L'imparfait une passion pas si défunte qu'il n'y paraît ; la troisième se pose, dans L'obsidienne rêve l'obscur, la question de savoir si l'on peut « Défaire le temps / L'infantiliser, le prendre par la main / Le basculer dans l'in­fini / Et danser sur ses funérailles / comme une jouissance au creux de la nuit ? »


Véronique BERGEN
L'Obsidienne rêve l'obscur
Editions de L'Ambedui
collection de poésie du « Lendit »
130 p.

Pascal Nottet est en quête perpétuelle du Mot et du Nom, sans lesquels la vie ne se­rait qu'« éparpillement ». Son écriture dia­lectique — qu'on pourrait situer, en repre­nant le titre d’Henri Michaux, « entre centre et absence » — progresse par anti­phrases, « mourant ne mourant pas », dans une solitude de parole et un désert de certi­tudes qui ne sont pas sans rappeler les ques­tionnements de Blanchot et de Jabès. Not­tet module ses textes entre un je, un tu et un nous fluants, parfois inextricablement ré­unis, tour à tour narrateurs et narrataires. Dressant « hors lieu l'état des lieux », Not­tet conçoit l'écriture comme un échange perpétuel et silencieux, puisqu'à l'en croire, « les mots se taisent de nous aimer »... Pour Laurence Vielle aussi, la poésie est échange, partage. Mais qu'on ne s'y trompe pas si l'on feuillette trop distraitement L'imparfait : la voix fraîche, franche, parfois enjouée de l'auteur n'a rien de simpliste et dissimule un deuil profond. La jeune fille qui inverse pour rire les voyelles de Mer du Nord et qui ne peut s'empêcher de succom­ber au vertige de la danse, cette jeune fille que vous avez peut-être déjà croisée, « Gi­rafe des villes » traversant Bruxelles à grandes enjambées, cette jeune fille est han­tée par la présence de l'ami défunt, Bruno. « Les morts sous la terre / sont nos racines éternelles / j'ai un peu froid » avouera-t-elle avant de se réfugier dans le ventre de la mère, dans un sous-bois paradisiaque où survit le souvenir ou plus simplement au centre de la terre, « sous l'ombre des choses ». Là, elle bat le rappel des oiseaux, sourit et s'affirme : « Vivante ! ». La poésie de Véronique Bergen est autre­ment brutale : poésie de révolte, dense, riche de références (surtout mythologiques) et de termes rares. Dans cette parole ancrée (chaque poème est précisément daté) et au­toritaire prolifèrent les infinitives et les impératives : « Racole l'azur et barre-toi / Sans ligne ni arme, / Etrangle la paume du temps / Sans tes odieuses larmes, putain au nom triste, / Musicalise-toi ». Véronique Bergen s'écorche l'être. Lui reste un amour effréné du langage, que l'on sent servi par un tra­vail sans relâche. Avide de pureté, Bergen a compris que « Virginité nouvelle appelle le sang ». Jean Genêt n'est pas loin, auquel elle consacra un de ses premiers travaux cri­tiques.

Nottet, Vielle, Bergen. Trois auteurs qui, chacun à sa façon, opposent au passé, au présent ou à l'avenir, une voix, ou ressas­sante, ou narquoise, ou péremptoire. Leur voix. Sans jamais perdre de vue que « la poé­sie n'est vraiment presque rien : elle est seu­lement le rien qu'on peut parfois soustraire à l'irréparable gâchis du rien » (P. Nottet).

Frédéric Saenen

Pascal NOTTET, D’un futur antérieur, aux Editions de L'Ambedui, dans la collection de poésie du « Lendit », 142 p.