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Critiques de livres

Christian Du Pré
Les neuf cercles. Requiem pour un professeur de lycée
Bruxelles
Les Éditions de la Mémoire
2006
206 p.

L'école, comme si vous y étiez
par Laurent Robert
Le Carnet et les Instants n° 145

La déploration funèbre sur l'école ou sur l'enseignement est pratiquement un genre un soi. Du Chagrin des profs à l'Avertissement aux écoliers et aux lycéens, de L'enseignement de l'ignorance à La fabrique du crétin, en passant par l'économiquement informé Tableau noir, par le pathétique et lyrique Enseignement mis à mort et par la plus drôle Hypocrisie pédagogique, on ne compte plus les ouvrages qui dressent un portrait extrêmement sombre de l'institution scolaire, de son présent et de son avenir, de sa culture — ou de l'inculture qui s'y véhicule —, de ses méthodes, de ses enseignants, de ses directeurs, de ses inspecteurs, de ses élèves, de ses ministres innombrables et diversement (in)compétents… Il n'est guère que le quasi sulpicien Vocation prof de Frank Andriat à offrir une vision de l'enseignement résolument positive — ce pourquoi il fait le miel des pédagogues.

La déploration funèbre scolaire est un genre hargneux mais consolateur. Elle éveille — à mon avis — assez rarement les consciences, mais elle enseigne à son lecteur, généralement un professeur, qu'il n'est pas seul à penser ce qu'il pense. La face du monde ou de l'école n'en est sans doute pas changée, mais c'est un peu moins de solitude avant de retourner affronter la classe, le chahut ou le silence parmi les craies, l'éponge, le seau d'eau ou, version moderne, les ordinateurs.

Aujourd'hui retraité, Christian Du Pré fut professeur de français et de morale laïque dans un athénée bruxellois et de français langue étrangère dans l'enseignement de promotion sociale. Il avait beaucoup à dire sur l'école, en avait visiblement gros sur le coeur; mais il n'a pas choisi de s'exprimer par la voie du pamphlet et n'a donc pas ajouté un essai vindicatif à la liste — non exhaustive — citée plus haut. Il a plutôt composé un roman, Les neuf cercles. Requiem pour un professeur de lycée, où un candide, jeune professeur occupant son premier emploi, se voit rapidement déniaisé dans l'enfer d'un bahut urbain. Au fil des jours et des mois, Gilles Hespérange tient le journal de sa vie, puis de sa survie à l'Athénée Arthur Rimbaud. L'intérêt du texte qui se donne à lire réside moins dans les menus incidents qui égrènent l'année scolaire que dans le regard, de plus en plus critique, que le narrateur leur porte. C'est donc un nouveau portrait charge de notre enseignement qui se dessine progressivement, mais cette fois en relation avec des situations vues ou vécues de l'intérieur. Le principal mérite de l'ouvrage de Christian Du Pré tient d'ailleurs à une construction où les vérités assénées ne sont que la conclusion, malheureuse mais logique, d'une péripétie précise. Toutefois, ce qui fait le sel véritable des Neuf cercles, c'est l'honnêteté fondamentale de son auteur, qui a soin de n'épargner personne. Certes, les habituelles têtes de turcs de l'enseignant qui prend la plume ne sont pas oubliées, en particulier la triade parents-ministres-pédagogues : «Si la plupart des parents ne jouent donc plus leur rôle éducatif […], notre système d'enseignement est largement complice de cette débâcle de l'intelligence. En privilégiant les savoir-faire au détriment des savoirs, les compétences et non les connaissances, il réduit l'élève — pardon, l'apprenant— à maîtriser simplement des techniques élémentaires pour en faire une espèce de presse-bouton qui ne replacera plus son geste technique dans un contexte qui lui donne du sens. Tout est donc sacrifié à l'utilitaire.» Mais le mal est aussi dans chaque école; il procède tout autant de la lâcheté des enseignants — de leur faiblesse morale et psychologique, de leur frilosité – et de l'hypocrisie des directeurs. Et les élèves ne sont pas des anges inexplicablement déchus, des petits dieux dévoyés. Quant à Gilles Hespérange, il aura vécu en une année scolaire ce que, souvent et fort heureusement, un professeur ne vit pas en une carrière. Il n'en sort pas indemne. Entre amertume et espoir tenu, la fin reste ouverte. De fait, si Christian Du Pré ne doit pas manquer d'humour, il y a trop de vérité dans son livre pour qu'il soit drôle.