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Critiques de livres


Jean MERGEAI
Du temps de ma maison et autres récits
1997
Quorum
172 p.

Le temps des souvenirs

La maison de l'enfance de Jean Mer-geai, située dans un hameau gaumais, n'avait jamais été restaurée ni consoli­dée par le béton de l'époque moderne. Sou­mise aux assauts du temps et des vents, un jour de gel et de janvier, elle s'écroula. Elle représentait le dernier symbole dressé des souvenirs d'avant l'âge adulte, d'avant la fa­mille disloquée et la vie citadine. Comme eux, elle est devenue fantôme. Dans le récit intitulé Du temps de ma maison, réédité aux éditions Quorum, Jean Mergeai nous invite à une promenade (imaginaire) dans son au­trefois. Au cours du texte, il s'avère un guide charmant et prévenant. Plus d'une fois, il s'inquiète de ce que le lecteur pourrait s'en­nuyer à la lecture de ses souvenirs. La   promenade   démarre   par   le   cœur (double) de la demeure : la cuisine dont la fraîcheur rendait les étés moins agressifs et le « pel », où la famille prenait ses repas en hiver, où les enfants étudiaient, où le père est mort. L'évocation de ces deux pièces ne compte que deux paragraphes, la pudeur de l'écrivain le poussant à ne pas s'y attarder davantage. Alors, nous visitons le reste de la maison, ses alentours, le village, les champs. Nous rencontrons la famille, les habitants du hameau (très beau portrait de l'institu­teur). Nous découvrons aussi le nom des lieux (aussi important pour connaître l'his­toire que les pierres des demeures) et le vo­cabulaire tel qu'il resurgit dans l'écriture de l'auteur (qui est, bien entendu, sensible à la langue, matériau premier de son art). Mais ce texte ne se limite pas à une reconstitu­tion nostalgique du passé. Il est aussi une affirmation de certaines valeurs du Jean Mergeai  d'aujourd'hui,  valeurs  acquises grâce à la vie dans  ce hameau où par exemple, il n'y eut aucun collaborateur : « La propagande qui était pourtant diabo­lique d'habilité, n'eut aucune prise sur ces villageois. Ils demeurèrent eux-mêmes : ma­licieux, ironiques et droits. Leur scepticisme foncier restait intact. Et je professe qu'un certain scepticisme est une valeur. Cette philosophie proche des choses qui durent m'a enrichi en profondeur, autant — si pas davantage — que la fréquentation des livres. » Ce récit est aussi une interrogation sur les souvenirs et leur surgissement, sur la possibilité du bonheur au présent. Les quatre autres textes (inédits) mettent en scène des habitants du village à la même époque mais ils n'ont pas la même portée et se révèlent finalement assez anecdotiques, bien qu'ils relatent des épisodes de la vie où l'homme se fracture et qui laisseront pour toujours des cicatrices.

Michel Zumkir