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Critiques de livres


Otto GANZ et Werner LAMBERSY
Ecce Homo
Images d'Yvoires
coll. Alba
2002
48 p.

Deux livres et trois auteurs

Pourquoi ne pas partager les plaisirs so­litaires de l'écriture ? Telle est la ques­tion qu'Otto Ganz s'est sans doute posée récemment puisqu'il publie aujour­d'hui deux livres, l'un écrit avec Werner Lambersy, l'autre avec Denys-Louis Colaux. En général, les expériences littéraires collec­tives ne s'avèrent pas satisfaisantes du point de vue du lecteur, me semble-t-il, les écrivains s'y laissant trop souvent aller à la surenchère ou à la facilité. Bonne surprise, cette fois, l'écriture à quatre mains n'a pas tourné à la cacophonie. Au contraire. Ecce Homo, qui réunit Otto Ganz et Wer­ner Lambersy, est un recueil de poèmes. Sa réussite est peut-être le fait de règles d'écri­ture strictes et fixes. Les poèmes de l'un succèdent à ceux de l'autre en épousant plus ou moins le même rythme et la même lon­gueur. Chacun occupe une page ou une co­lonne sur la même page. Les deux voix sont donc parallèles sans pour autant se mêler, la typographie nous indiquant que les vers en italiques sont d'Otto Ganz tandis que l'on reconnaît Werner Lambersy aux caractères droits. De plus, les poèmes commencent tous par les mêmes mots : « Nous mar­chons » est le leitmotiv de Werner Lam­bersy, « Ici repose », celui d'Otto Ganz. Des liens thématiques contribuent aussi à l'unité du texte : il y est question de mort et de sexualité, dans une sorte de violence immo­bile et sordide.


Denys-Louis COLAUX et Otto GANZ
L'Arbre d'Apollon
Images d'Yvoires
coll. Maelstrôm
2002
120 p.

Les deux écritures ne sont évidemment pas pour autant semblables. Les poèmes de Werner Lambersy épousent une structure plus stable que ceux de son complice : ils commencent tous par un paragraphe consa­cré à une sorte de marche de la mort et se terminent en un chant du désir viril. Ces appels conclusifs participent au romantisme noir de l'ensemble, mais ils se permettent parfois un clair lyrisme qui n'a pas son équivalent chez Otto Ganz : « Et nous fai­sons l'amour / à des roses de sable / en bor­dure de ciel ».

Si la typographie indique dans Ecce Homo qui écrit quoi, dans L'Arbre d'Apollon, par contre, il est impossible de dissocier la voix d'Otto Ganz et celle de Denys-Louis Co­laux. Il s'agit d'un roman à la fois néoréa­liste et fantastique, verbal et morbide. Deux anciens amis au bord de la dérive s'écrivent et se retrouvent parce qu'une femme qu'ils ont aimée tous deux puis assassinée en­semble est revenue du pays des morts. D'emblée, le lecteur est frappé par le style : riche, argotique, jouissif, oral, célinien et lu­dique, il rappelle surtout la manière de Denys-Louis Colaux. La thématique, par contre, fait songer aux autres textes d'Otto Ganz, qui s'apparentent souvent à un dia­logue, plus ou moins explicite, avec une morte. Le plaisir verbal se marie donc, de façon assez originale, à une angoisse morbide et sexuelle qui paraît d'abord sans issue. Le récit prend son temps, mais il est effi­cace, délivrant petit à petit des bribes de passé tout en progressant vers la conclusion. Les points de vue alternent entre les deux protagonistes masculins ; et un second per­sonnage féminin, bien vivant cette fois, donnera un tour plutôt inattendu aux der­nières pages du livre.

Laurent Demoulin