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Critiques de livres


Nicolas ANCION et Frédéric HAINAUT
39 Doigts et 4 oreilles
Ed. Les Eperonniers
Collection Plein les doigts
1998
64 p.

Voyages en proche Absurdie

Farfelu. Un mot qui semble venir na­turellement lorsqu'il s'agit de décrire l'univers volontiers saugrenu, aux frontières du conte pour enfants et de l'ab­surde contemporain, des récits de Nicolas Ancion. Expression réductrice pourtant, qui ne recouvre en effet d'aucune manière le mélange étonnant des genres que pratique celui qu'il est convenu — les étiquettes en­core et toujours — de désigner comme « le benjamin de nos lettres ». Au vu de ses deux dernières publications, et notamment 39 doigts et 4 oreilles, nul doute que le vocable ne connaisse encore un cer­tain succès. Derrière la couverture au rosé particulièrement écœurant — mais sans doute est-ce voulu —, Nicolas Ancion re­noue avec les personnages du Cahier gon­flable, Mr Gnol et Mr Hop, dont les aven­tures décalées dans un monde qui devait beaucoup au nôtre avaient séduit ceux que fascinent les longues marches dans l'imagi­naire.


Nicolas ANCION
Ecrivain cherche place concierge
Ed. Luc Pire
coll. Embarcadère
1998
128 p.

Michaux ou Sternberg, présents en abondance dans les épigraphes, étaient, à l'évidence, les divinités tutélaires de ces ré­cits perpétuellement sur le fil entre poème et fiction. Héritiers de Plume ou de l'Employé, légers et inquiétants à la fois, Mr Gnol et Mr Hop déployaient des cahiers gonflables afin de « s'enfoncer dans le bourbier de l'écriture » et transfigurer par la magie des mots les coins d'ombre de leur chambre. Nous les retrouvons donc avec plaisir dans ce 39 doigts et 4 oreilles qui leur laisse tout l'espace pour arpenter la fantaisie la plus dé­bridée, jouer avec leurs amis imaginaires, ranger les odeurs d'autoroutes sous les gro­seilliers blancs, attraper les avions dans des sachets en papier. C'est que les deux com­pères sont ici des enfants « sautillants comme les mots qui, pour s'échapper de la bouche, scient les barreaux des dents », des « sales gamins, toujours fourrés dans les toi­lettes et dans la réserve à pizzas », toujours prêts aux tours les plus pendables qu'ils ai­maient se rappeler, adultes, blottis au cœur de leur cahier de rêve. Si le graphisme, lui aussi joyeusement déjanté, épouse les moindres délires de cette virevoltante saga enfantine et utilise souvent avec bonheur les ressources du graffiti et de la bande dessinée, son omniprésence empêche peut-être l'im­mersion onirique que le texte seul, dans Le Cahier gonflable, parvenait à provoquer. Ce dernier, loin de n'évoquer qu'un petit monde étrange, était en outre hanté par la mélancolie, la solitude, les ombres qui s'al­longent, inquiétantes, le soir et auxquelles Gnol et Hop tentaient d'opposer leurs rêves colorés. Dans 39 doigts et 4 oreilles, la fantai­sie a pris le pas, enfance oblige, sur ce jeu trouble de l'ombre avec la lumière : les aven­tures des deux garnements nous amusent, certes, mais sans atteindre le charme quasi métaphysique qui se dégageait de leurs tri­bulations d'adultes au cœur de la grande ville. Une ville que Victor, le héros d'Ecri­vain cherche place concierge, connaît bien et qui se résume parfois en d'effrayants chancres urbains, comme cette gare de bus où « le soleil ne brille jamais que dehors et l'humidité ne se lasse pas de suinter ». C'est d'ailleurs la dernière image de la cité qu'em­porté Victor, jeune écrivain en quête de tranquillité et devenu, suite à une petite an­nonce, le concierge d'un étonnant château de campagne dont le propriétaire est un compositeur, le valet de chambre, un lapin et le premier invité, un ours écrivain fou de gâteau au chocolat et pourchassé par une horde de phoques armés jusqu'aux dents ! Mené tambour battant, à la vitesse du dessin animé et du film de gangster de série B, le récit est l'occasion de réjouissantes attaques contre, entre autres, le Condroz, le mariage, la télé ou encore la musique new-age, « de la soupe de cérumen », « l'idéal pour la diges­tion et le transit intestinal » ! C'est ce mélange de merveilleux, de cocasse­rie et d'acidité qui rend les histoires de Ni­colas Ancion si précieuses : que l'on puisse déplorer parfois un abus de phrases compa­ratives, pas toujours nécessaires, ce n'est là que péché véniel face à l'inventivité et l'in­nocence culottée de ses histoires qui aiment prendre la forme étonnante et familière à la fois de nos peurs et de nos rêves d'enfance.

Dominique Meurant