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Critiques de livres


Andrée CORBIAU
Farinelli
Actes Sud
1994
réédité chez J'ai Lu
1995
182 p.

Le lecteur castré

Farinelli : le film, le livre, le disque.

Pour faire croire que l'on est cultivé.  Que l'on a des goûts raffinés alors que l'on n'a plus rien vu, lu, entendu depuis Tous les matins du monde. Où déjà : le film, le livre, le disque. Sur le mode ascétique cette fois-là. Avec Farinelli par contre, c'est le luxe faussement baroque et vraiment nou­veau riche qui se déploie. Ostensiblement. Gratuitement. Platement. Sans chercher un instant à ce que la forme épouse le fond, ou même plus modestement, le suggère. Sur l'écran tout se voudrait démesuré, passionné mais rien ne l'est. Dans le livre itou. On suit l'histoire dans son déroulement séquence par séquence. Des séquences qui ne sont que des épisodes mis les uns à la suite des autres. Comme dans ces œuvres qui se veulent intemporelles, qui évitent de brusquer le lecteur et ne laissent absolument rien dans l'ombre. Pour que tout soit compris comme une démonstration mathématique qui saurait maintenir son suspens. Pour que le livre soit lu, le film vu jusqu'au bout par tout le monde, dans la fièvre, le sang et le sperme. Bien sûr, l'échec est à la proportion des ambitions même si on tente de nous faire croire le contraire, le spectateur et le lecteur étant pris par la main jusque dans ce qu'ils doivent ressentir. Les émotions sont montrées sur l'écran à grand renfort de larmes, de râles et d'évanouissements comme elles le sont dans le livre à grand coup de descriptions maladroites et de synonymes scolaires. On pourrait se demander pourquoi on ne dissocie pas davantage le livre du film. Et nous de nous dire pourquoi le ferait-on puisque l'un n'est que la tentative — ratée — de réécrire l'autre. Même si certains moments sont différents, l'ensemble n'est que le reflet mal réfléchissant d'un film prédigéré. Où l'on ne croit pas un seul instant au charisme de Farinelli. Et là où le livre aurait pu réussir à nous le rendre perceptible (il nous évite tout de même ces vocalises assommantes de démonstration technique) puisqu'il ne dépendait en rien d'une réincarnation dans la peau et la voix d'un être de chair, il échoue. Encore une preuve que lorsque l'écriture n'a pas la force de son propos, on arrive juste à pondre une œuvre digne des kiosques de gare (on a connu Actes Sud avec une meilleure politique éditoriale), une œuvre destinée à un lecteur castré de ses facultés d'émotion et de réflexion.

Michel Zumkir