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Critiques de livres


Jean-Claude PIROTTE
Faubourg
Le temps qu'il fait
Cognac
1996
120 p.

Désespoir critique

« A Angoulême où je suis roi d'un coin de ruelle éphémère le temps fasse et ne passe pas le faubourg guette la lumière »

J’avais ouvert Faubourg dans le café d'une petite ville de province (comme ils disent) et donc j'avais oublié l'heure. Le café était vieux, légèrement dé­crépit, et la petite ville l'était aussi, me par­lait de l'enfance, comme un recueil de Jean-Claude Pirotte. Et même, comme dans un recueil de Jean-Claude Pirotte, je ne cessais d'oublier l'heure. Je ne cessais de lire, et d'être émue, et de glisser du café à la page, de tisser, entre les mots lus et entendus, des liens de connivence. Je ne parvenais pas à me concentrer sur l'article que j'aurais à écrire.

Nous sommes encore habités par d'anciennes images

dont nous ne savons plus exprimer le

secret.

Je pensais que oui, je retrouvais, dans ce re­cueil, les thèmes chers à Pirotte, errance, nostalgie, amour perdu, amour rêvé et ces crissements de sympathie entre quotidien et idéal. Je pensais que oui, cette musique, Verlaine ou Telemann, bruit de pluie, chant d'orphéon, pensée qui pleure, ab­sence de larmes. J'admirais ces architec­tures mouvantes composées par Pirotte, ces tableaux de dérives où nuages, amitiés, bruits de bistro, poèmes de Jacottet, Cliff et Borel se fécondent indéfiniment. J'avais l'impression que j'allais tomber, parfois, quand certains vers abandonnaient le poème sur la tranche, en un point d'équi­libre instable, au bord du gouffre et de l'indécidable.

si j'avais le loisir de murmurer ton nom

je me tairais encore, la nuit tombe

ainsi tous les chats gris peuvent longer

les murs.

Et les chats gris longeaient effectivement les murs de la petite ruelle du faubourg, la nuit, le jour, parfois caressés du regard par une fille aux seins émouvants, au pied d'une masure. Ce décor minuscule, où l'on perce­vait avec peine le cycle des saisons, convo­quait pourtant la mer, des plages rousses, des envols de mouettes. Car « tout vient à qui sait attendre ». Des aquarelles s'y dé­ployaient en « frottis de joubarbe » et le poète y abhorrait le matin dérisoire. Tu aurais pu revenir de Liège et nous au­rions pu dîner au restaurant. Et, comme si nous avions appartenu à un recueil de Pi­rotte, nous aurions pu nous attarder dans un autre café aux allures d'avant-guerre. Tu aurais accepté cette nuit à l'hôtel, pour rien, par souci de connivence. Au matin, dans la rue encore noire, nous nous serions deman­dés, légèrement hilares : « Et maintenant, où allons-nous ? » Cependant nous aurions été, comme toujours, « du pas de l'em­bauche », et il nous aurait-fait mal, ce pas, tel « un clou dans la paume ». Ceci n'est pas vraiment une critique. Mais il n'est plus temps de faire machine arrière. Jean-Claude Pirotte appartient à la famille des écrivains qui vous parlent mieux de vous que vous ne le pourriez vous-même. Il est bien sûr trop naïf de le prétendre. Que chacun, s'il le désire, découvre ses poèmes, ces petits riens et ce faubourg alangui qui rendent douce la misère d'être un homme. Comme on sait le parler d'un père qui vit à l'autre bout du monde mais à proximité du cœur.

Françoise Delmez