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Critiques de livres

Marie Ferran
Terrasse
Paris
Le Seuil
2006
154 p.

Les voyages du père
par Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 144

Marie Ferran est historienne de l'art et la fille de l'architecte d'intérieur Jules Wabbes à qui elle a consacré une monographie parue à la Renaissance du Livre en 2002. Sa culture artistique est perceptible – sans être envahissante – dans son premier roman, Terrasse, qui paraît au Seuil. Son regard est aiguisé aux particularités des villes que son narrateur traverse ou dans lesquelles il séjourne (Istanbul, Paris…). On évite ainsi un roman qui serait la resucée d'un Guide bleu ou d'un autre Guide du routard. Ce narrateur est quadragénaire, père d'un enfant décédé lors d'un moment d'inattention des parents : il s'est noyé dans l'eau accumulée au fond d'une poubelle sur la terrasse de leur appartement en banlieue parisienne. Suite à cette mort, chacun va réagir à sa manière, une manière qui exclut l'autre : le couple n'y survivra pas. Ce sont les réactions de cette mort sur le père qui sont au cœur du roman divisé en quatre parties : dans la première naît en lui l'envie de quitter Paris, dans la deuxième, il part à Istanbul, dans la troisième, il revient dans la capitale française et découvre que sa femme à un amant de vingt ans, dans la dernière, il part faire de l'aide humanitaire à Lampedusa, une île au Sud de la Sicile où débarquent des réfugiés qui ont fui l'Afrique. Malheureusement, le tout est raconté avec une sobriété désincarnée qui fait que l'on a du mal à croire à cette histoire (en tout cas moi je n'y ai guère cru). Les phrases ne semblent pas regorger de cette douleur dont le narrateur parle, elles ne semblent pas non plus (autre parti littéraire possible) la mettre à une distance telle qu'elle ne jaillisse et ne broie tout sur son passage lors d'un moment d'inattention, une distance qui serait palpable, un lieu où on l'on sentirait la douleur tapie, comme par exemple dans les livres d'Isabelle Spaak. Ou dans le film de Nanni Moretti, La Chambre du fils. Il est évident que Marie Ferran sait écrire, mener un récit, qu'elle a des avis sur le monde qui sont ceux de la gauche centriste, mais rien ne dépasse dans son écriture, ni la vie ni la mort. Est-ce cela que l'on attend de la littérature?