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Critiques de livres

Georges Perros-Vera Feyder
Correspondance 1966-1977
Rennes
Éditions La Part commune
2007
74 p.

Au creux des fêlures
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 148

L'été, saison des voyages? J'en ai fait un au pays de Vera Feyder, à la faveur de deux titres récents (Correspondance avec Georges Perros et Dernière carte du Tendre) et de la réédition de deux romans parus à la fin des années septante : La derelitta et L'éventée. Le pays de Vera Feyder : je le dessinerais non loin de la mer, bordé de récifs, balayé de vents et d'embruns, sous un grand ciel chargé de nuages. Imprégné de mélancolie, dépouillée de toute grâce plaintive : une mélancolie âpre, sauvage, parfois tranchante, comme la passion, toujours cernée par la douleur.

Première étape : un recueil de lettres échangées entre 1966 et 1977 avec Georges Perros, qui devait mourir l'année suivante. Témoignage émouvant de la parenté d'âme entre l'irremplaçable auteur d'Une vie ordinaire et de Papiers collés et celle qui, dès leur première entrevue à Douarnenez en 1966, éprouverait aussitôt la force d'une profonde connivence que les années – et leurs longs silences – n'émousseraient pas. «La difficulté, lui confie-t-elle, est d'épouser exactement ce qu'on est, d'accepter ses points de chute; il me semble que vous y parvenez assez bien, peu importe comment.» «Vous m'êtes inoubliable, lui écrit-il, par je ne sais quelle complicité dans la manière d'être, n'appelons pas cela détresse, c'est tout autre chose. Plutôt le contraire. Une impatience, un goût d'exister quasiment impossible à combler. Mais qui devrait nous consoler, à considérer l'horreur alentour.»

Vera Feyder
Dernière carte du Tendre
Rennes
Éditions La Part commune
2007
63 p.

S'ils ne se sont jamais rencontrés «autrement que par bourrasques», ils ont su se reconnaître. Fraterniser, à mots couverts, dans «une dérive partagée entre un mal être inexpugnable et la certitude – la seule – que jusqu'au dernier mot qui pourra en réchapper "il y a toujours une phrase écrite" pour le conjurer, et nous redonner, provisoirement, jusqu'au naufrage définitif, le goût de survivre».

Deuxième escale : Dernière carte du Tendre, poème en prose d'amour et d'adieu, écrit, au rythme d'un voyage en train, à l'éternel absent, celui qui se garde prudemment de «l'égarement majeur», joue avec le feu mais le tient à sage distance et ne s'y brûle pas. De Liège à Paris, de la révolte à vif à l'ironie du désespoir, se déroule cette lente vague de la désillusion amoureuse, cette «croisière au long cours des mots qui ne mènent nulle part où tu seras».

J'ai relu alors La derelitta, le premier roman (après plusieurs recueils poétiques) de Vera Feyder, qui obtenait, à sa grande surprise, le prix Rossel 1977. La troublante histoire d'Éva qui, à trente ans, choisit de «quitter la vie des autres pour entrer enfin dans la sienne». Fuite éperdue loin de la place occupée malgré soi dans «l'ordre compassé du monde», quête d'un inaccessible port, au creux desquelles battent les «colères et rages d'impuissance de l'enfance bâillonnée dont on ne libère les cris qu'à l'instant du mourir».

Vera Feyder
L'éventée
Bruxelle
sLe Grand Miroir
2007
138 p.

Et j'ai achevé ce périple tourmenté, aux sombres couleurs d'orage, avec L'éventée (1978), un autre roman hanté par les failles de l'amour, qui réveillent et prolongent les blessures de l'enfance. Autour d'une petite fille étrangement grave et lucide, qui joue à la marelle dans un temps suspendu entre la vie et la mort, les destins s'entrecroisent, nouant leurs fils jusqu'au vertige. Les cœurs désemparés brassent l'ardeur et l'amertume, mais, inéluctable, «le froid est partout. […] Ce grand froid blanc à découvert dont on ne peut dire s'il brûle ou s'il glace». Il étreint les deux personnages principaux, Laurence et Torem, qui ont pourtant connu «ce miracle. L'étincelle de l'âme». Elle se sépare de lui – qui en meurt. Et se retrouve «rejetée au monde réel où rien n'attendait l'étrangère que j'étais devenue, incapable de m'y réintégrer sans toi, Torem, pas plus qu'y vivre rompue avec toi».

Vera Feyder, La derelitta, Rennes, Éditions La Part commune, 2007, 188 p.