pdl

Critiques de livres


Michel LAMBERT
Fin de tournage
Editions du Rocher
2001
160 p.

A chacun son cinéma

Clément, le héros de Fin de tournage, le nouveau roman de Michel Lam­bert, va très mal. Son fils Bert s'est prostré depuis de longs mois dans un mu­tisme aussi radical qu'inexplicable : il n'y a, à l'origine de ce retrait du monde, aucun événement tangible qu'il pourrait éventuel­lement se reprocher. Le silence de Bert est le point de focalisation des angoisses de Clé­ment, mais ce n'est pas son seul problème. Tout va à vau-l'eau dans sa vie. Son couple battait de l'aile bien avant la prostration de Bert. Il n'a plus d'aventures extra-conjugales depuis un bon moment. Il a renoncé depuis belle lurette au roman qu'il projetait d'écrire et, ces derniers temps, il s'est mis sérieuse­ment à picoler.

Il se désintéresse de son métier et n'en goûte même plus les avantages. Il en a assez de traîner sur les tournages où il est reçu en fonction du degré de complaisance de ses papiers. Clément fait un dernier tour de piste avant de tourner la page. Lorsque l'histoire commence, il arrive en Belgique pour assister aux derniers jours d'un tournage. Il connaît bien le réalisateur, les deux vedettes et pratiquement toute l'équipe technique. Il fait en quelque sorte partie des meubles et n'a pas à se forcer pour donner le change. Il se prête au jeu et observe avec cynisme tout ce petit monde qu'il trouve tellement factice et qui fait tel­lement de bruit pour rien. Durant ces quelques jours, il va se rendre compte que non seulement personne ne remarque spon­tanément son malaise mais qu'en plus, les rares fois où il se confie, on le minimise. Il réalise, a contrario, que ceux qu'il côtoie et qu'il méprise ont derrière leurs tics et leurs façons de se la jouer, une sincérité touchante qui se manifeste dès qu'un effet de réel vient bouleverser le huis clos du pla­teau. Que jouer la comédie n'exclut pas la sincérité et qu'en comparaison, sa propre envie de suicide est bien littéraire. Il relativise son drame personnel en l'appré­ciant à l'aune de la mobilisation nationale générée par la marche blanche qui est évo­quée ici très finement (la juxtaposition des interprétations excessives et contradictoires montre bien que derrière l'indignation una­nime il y avait aussi pas mal de confusion). Contre toute attente, Clément va même tomber sous le charme d'une jeune étu­diante des Beaux-Arts venue faire de la figu­ration sur le tournage. La rencontre n'aura pas vraiment lieu, ils se parleront à peine et elle quittera le plateau sans même qu'il sache son nom. Qu'importe. Elle incarnera désormais l'espoir d'un renouveau possible. Michel Lambert n'évite pas toujours les poncifs (notamment sur les déficiences de la vie par rapport au cinéma qui n'accepte ni les pertes de contrôle ni les retours en ar­rière), mais la grande réussite de son roman tient dans une construction qui favorise toujours le plan d'ambiance plutôt que le monologue introspectif. Il nous fait prendre la mesure de son personnage en l'insérant dans un milieu qui lui sert successivement de repoussoir, de miroir et de planche de salut. Le portrait, fort bien documenté, de cette petite société du spectacle à la sensibi­lité exacerbée est croqué avec beaucoup d'humour et de mordant, mais ne sombre jamais dans la caricature. Chacun reste émouvant dans la façon dont il se fait son cinéma.

Thierry Leroy