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Critiques de livres

Lydia Flem
Lettres d'amour en héritage
Paris
Seuil
coll. «La librairie du XXIe siècle»
2006
254 p.

Comment Lydia Flem a lu la correspondance de ses parents
par Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 145

Débarrassons-nous d'entrée de jeu d'un petit quelque chose, d'un pas grand-chose qui nous a gêné à la lecture de Lettres d'amour en héritage : il y a quelques paragraphes (notamment dans le chapitre «La cent cinquantième lettre») qui énoncent des propos, des généralités que l'on a déjà lus et entendus souvent ailleurs (par exemple, que l'on correspond toujours avec quelqu'un d'absent…). Cela dit, on peut se consacrer au meilleur du livre, un livre qui prend la suite de Comment j'ai vidé le grenier de mes parents lequel avait connu, au printemps 2004, un retentissement mérité. Le pont entre les deux ouvrages se fait d'une manière qui semble toute simple mais qui est un joli coup de style littéraire (et peut-être même psychanalytique). Le deuxième livre commence par ces mots : «Je n'avais pas mis de point final à ma dernière phrase.» Entendez à la dernière phrase de Comment j'ai vidé… Il suffit de vérifier : effectivement, il n'y a pas de point final à ce texte. Ce n'était probablement pas en prévision d'un autre livre mais, comme l'explique l'écrivaine : «Mon chagrin était encore trop vif, la perte trop écrasante. Je ne pouvais pas imaginer que ma peine se ferait petit à petit moins violente, qu'elle deviendrait une compagne apaisée, assourdie, faite de souvenirs et d'évocations réconfortantes. Le deuil n'était pas clos.» Le geste est beau, le passage de relais réussi.

Comme la douleur est devenue moins écrasante, Lydia Flem a pu continuer le travail entamé avec le livre initial; après avoir vidé le grenier de ses parents, elle va lire leur correspondance amoureuse, celle qu'ils ont échangée entre 1946 et 1949, de leur rencontre à leur mariage. Pendant ces années d'immédiate après-guerre, la mère (Jacqueline) est soignée dans un sanatorium en Suisse, elle est revenue des camps «atteinte d'une grave tuberculose pulmonaire, la peau sur les os, pesant moins lourd qu'une enfant», avec une forte envie de vivre aussi; le père (Boris) vit en Belgique, de retour d'un camp de travail en Bavière où il a été prisonnier pendant trois ans. Ils se sont rencontrés au sanatorium où Boris est venu saluer une jeune fille malade. Jacqueline est dans la chambre à côté. L'histoire d'amour s'amorce. En ses prémices, elle se nourrira essentiellement des lettres que les amoureux vont échanger; ils ne se verront guère avant de se marier. C'est cette correspondance-là que Lydia Flem a reçue en héritage et qu'elle n'avait pas ouverte quand elle s'était occupée de la répartition des objets. Pendant des mois, elle va les recopier, les numéroter. En résumer certaines.

Le livre est écrit sur le même principe que Comment j'ai vidé… : l'auteure commence par indiquer les réticences qu'elle a devant la tâche qui l'attend (faut-il lire la correspondance de ses parents?; c'est une chance de connaître la rencontre qui est à notre origine, l'histoire qui est nôtre sans être nôtre…), elle fait état de l'état de son deuil, de sa douleur, elle fait des allers et retours entre les lettres (elle en donne quelques-unes à lire) et l'effet qu'elles ont sur elle. Elle raconte ses parents, explique comment elle a dû vivre, parfois difficilement, avec, en elle, ces deux êtres qui s'aimaient autant, qui voulaient être tout l'un pour l'autre, mais qui étaient aussi profondément et inexorablement blessés par la Deuxième Guerre mondiale et en ont porté, toute leur vie, les conséquences : Boris cherchant plutôt à éviter les mauvais souvenirs et leurs évocations, Jacqueline en gardant les traces dans son corps malade. Sans l'horreur des camps, leur histoire n'aurait probablement pas été la même, ni le rapport à leur enfant. Qui se demande jusqu'où elle a mis ses pas dans les leurs (elle pense même être devenue psychanalyste «pour analyser, et panser, la douleur de son père»), qui se demande aussi «Comment vivre quand on est enfant de survivant? Comment oser vivre, rire, bouger, chanter, être heureuse? Pourtant, ils voulaient que la vie l'emporte sur l'anéantissement. Ma naissance était un miracle à leurs yeux. La vie plus forte que toutes les morts.»
Cette vie à vivre malgré tout, avec ses parents, contre eux, après eux est peut-être ce que nous apprend le plus justement le livre de Lydia Flem écrit en douceur, avec pondération, nuances, dans le silence de sa nuit et la clarté de sa pensée.