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Critiques de livres


Pascale FONTENEAU
Crois-moi
Labor
coll. Grand Espace Nord
2005
195 p.

Histoire d'une femme sans histoire

« Pour survivre, il est parfois né­cessaire de se raconter des histoires » : telle est la phra­se qui figure en épigraphe de Crois-moi, le dernier roman de Pascale Fonteneau. Phrase à double entente ; et c'est bien ainsi que l'entend Hélène, son person­nage principal. Sans occupation précise (hormis une vague et peut-être fictive activité de traductrice), elle s'ennuie dans une petite ville de province, entre un mari prof de français un brin ma­niaque, la fille de celui-ci, Chloé, une adolescente en révolte, et son amant, homme politique local aux dents longues, chez qui elle va chaque jeudi matin déambuler en dessous affriolants. Hélène n'est ni une paumée, ni une ré­voltée. Elle est moins médiocre que pri­sonnière d'un quotidien médiocre. Elle fait partie de ces êtres un peu « border Une », qui s'étiolent, se retranchent du monde, se vident doucement de l'inté­rieur. Cousine lointaine, en moins désespérée, de ces femmes à la dérive qui peuplent les livres de Régis Jauffret — elle au moins a encore la capacité de s'inventer des histoires, à défaut d'en avoir une. Pour le reste, elle n'en fait pas beaucoup ; assez souvent, même, elle ne fait rien. Elle s'endort subite­ment et se réveille quelques heures plus tard, ou le jour suivant. Elle ne semble pas avoir d'envies, ni d'ailleurs d'aver­sions particulières. Juste un agacement teinté d'ironie devant son mari, avec ses prétentions littéraires et son obsession d'aller habiter aux Glycines, une cité ré­sidentielle à la lisière de la ville. Elle ré­agit avec la même indifférence lorsque celui-ci est victime de menaces qui mettent l'immeuble et le voisinage en ébullition. Et quand son amant lui signifie son congé, sans qu'elle sache trop pour­quoi, elle ne proteste pas davantage, ne réclame pas de comptes. La vie pourrait continuer ainsi indéfini­ment. Un jour, cependant, la fatalité vient frapper à sa porte, sous les traits de sa sœur Françoise. Françoise, la bour­geoise, la mère responsable, la sœur équi­librée, qui elle aussi a une double vie. Et qui se retrouve avec un macchabée sur les bras, un amant mort pour avoir voulu goûter d'un peu trop près aux plaisirs de la jouissance avec strangulation. Et voilà Hélène, cette femme sans histoire, qui se retrouve avec un début d'histoire. Peu importe que ce ne soit pas la sienne. Elle ne laissera pas tomber sa sœur, l'aidera à faire disparaître le cadavre. Quelqu'un a aperçu le manège, les flics débarquent chez elle, l'interrogent. Sa vie va peut-être basculer — mais non, même pas. Pour le meilleur comme pour le pire, le destin a décidé de l'épargner. C'est au contraire le remue-ménage fait autour de l'« af­faire », complot provincial sur fond de manœuvres électoralistes, qui va recouvrir de son vacarme la petite partition triste d'Hélène. Même si, le moment venu, celle-ci saura prendre sa revanche, s'arra­chant, par un ultime sursaut, et un coup de pouce du hasard, à l'échéance fatale vers laquelle elle semblait s'acheminer. Pascale Fonteneau montre dans ce ro­man toute l'étendue de son talent de narratrice. Elle sait faire jouer les ressorts de l'intrigue, tirer les ficelles de ses per­sonnages avec une diabolique habileté. Au-delà de son métier incontestable, il faut saluer la justesse de son écriture, alerte et fluide, précise et incisive, qui fait parfois penser à Simenon, la causticité en plus. Car Pascale Fonteneau a l'art de la formule cocasse ou assassine : « Tout Picasso est derrière toi », dit à son pro­fesseur persécuté le proviseur du lycée du même nom ; ou, à propos du voisin de palier : « C'était un con, il s'appelait Gilbert Campain ». Le moins drôle et le moins original n'étant pas ces portraits qui viennent ponctuer le cours du récit. Tel celui d'Adeline, une ado tapée qui passe son temps à faire la liste des choses qu'elle déteste et à martyriser son chien Tufîy (la seule, à vrai dire, avec qui Hé­lène se sente quelque affinité). Ou celui d'une auxiliaire de police d'origine nord-africaine qui « a décidé que le jour où elle aura rapporté à la France l'équivalent financier du branchement à l'eau cou­rante dont a bénéficié son père, elle serait déliée de son serment » — et pour qui chaque contravention  représente un élé­ment des quatorze kilomètres de tuyau­terie qui vont de la station de pompage à l'appartement de son père...

Daniel Arnaut