pdl

Critiques de livres

Roger Foulon
Les jardins de Giverny
Avin
Éditions Luce Wilquin
2007
127 p.

Les jardins de Roger Foulon
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants n° 151

Auteur de plus de cent vingt livres — cent vingt livres, vous avez bien lu —, membre de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique depuis 1999, le regretté Roger Foulon nous invite à découvrir un univers qui lui est familier, celui de nos régions profondes où les hommes se marient à la nature, pour le meilleur et pour le pire.

En vingt-deux nouvelles de deux à dix pages, il crée en quelques mots une atmosphère, un climat, une tonalité. Sans effet de manche tapageur, il nous dit la vérité de ses personnages dans une langue rigoureuse, poétique, recherchée, usant d'un vocabulaire choisi à l'image de ces élodées et myriophylles, basanes et vélins, et autres gaulis et raidillons... Souvent, à l'instar d'un Jean Ray, d'un Marcel Thiry, d'un Franz Hellens ou encore d'un Jean Muno, il franchit cette frontière subtile entre le réel et le fantastique, entre le vécu et la représentation qu'en donne l'art dans ses diverses formes, mais aussi entre des objets inanimés et des êtres vivants. Ainsi, la nouvelle titre, «Les jardins de Giverny», invite à une visite d'un lieu prestigieux, auquel Roger Foulon apporte une touche de sensualité, d'humour, de poésie et de fantastique : «Je me sentais glisser au coeur même d'un tableau, comprenant qu'il n'existe en définitive guère de frontière entre les réalités peintes ou les peintures devenues elles aussi réalités.» Il y ajoute son regard de contemplatif. Une forme de mysticisme, au sens où un mystère religieux se superpose parfois à des phénomènes naturels ou des événements humains, traverse certains récits comme «Les croix blanches» ou «L'herbe et les roses», qui tissent un monde de légendes et de croyances : «Il ne croyait guère à tout cela quoique la nature dans laquelle il vivait sans cesse l'invitât à imaginer l'existence d'une force supérieure gérant le monde et rythmant la vie des plantes, des animaux et des hommes. Mais à quoi bon penser à ces problèmes? L'essentiel n'était-il pas que la sève monte et descende au gré des saisons, que les oiseaux pondent et couvent au bon moment, que les bêtes s'accouplent et se reproduisent?» La nature manifeste ainsi d'étranges familiarités avec le monde des humains, des complicités, à l'image de ce violoniste qui n'a pas connu le succès chez les hommes et s'est trouvé un public auprès des oiseaux.

Ce recueil apparaît également comme une suite d'hommages de l'auteur à des univers qui lui tiennent à coeur. Celui de la nature, des oiseaux, mais également celui des livres comme dans «Le poème mutilé», où les mots d'un texte ont déserté le livre pour se matérialiser dans la bibliothèque du Musée de Mariemont, un lieu cher à l'écrivain. Hommage également à des personnes comme André Goosse (qui vient de publier la quatorzième édition du célèbre Bon usage), auquel Roger Foulon adresse un clin d'oeil dans «La révolte des nénuphars» où il se lance dans une nouvelle guerre des orthographes (avec une «f» pour bannir cet archaïque «ph»?). Il nous y fait également revivre ce moment magique de l'impression d'un texte sur une vieille presse, une Victoria Merkur. Moments que Roger Foulon a bien connus en réalisant depuis 1956 Le Spantole, revue littéraire et artistique qui a publié plus de 9 000 pages de textes et d'illustrations d'artistes confirmés mais aussi novices auxquels il a donné leur chance. Ce récit sensible rappelle également combien tout artiste reste un artisan, que sa matière soit le bois, la pierre ou la langue, les mots.