pdl

Critiques de livres


Michelle FOUREZ
Ana
Avin
Luce Wilquin
coll. Luciole
2005
65 p.

Ana, venue des Flandres

Ana, ce pourrait être n'importe qui, ou presque (car n'importe qui n'existe pas). Une femme avec une histoire comme il en arrive à d'autres : elle est née dans une ferme de Flandre au siècle dernier (le vingtième), elle a épousé un homme avec qui elle faisait les marchés et qu'elle a quitté quand elle a rencontré Edouard — celui-ci avait jeté son dévolu sur elle, ayant repéré qu'elle avait quelque argent et qu'elle ne parlait jamais à son mari, puis l'avait draguée avec méthode. Elle l'a suivi dans un village de Wallonie. Edouard, égoïste, macho, ne l'a pas ren­due heureuse, l'a violentée même. Elle l'a quitté aussi. En résumé, comme le dit Michelle Fourez, Ana « avait été l'un des personnages qui traversent la vie de chacun, voilà tout ». Sauf qu'en traversant la vie d'un(e) écrivain (e) (et qu'elle l'ait traversée en vrai ou en ima­gination n'est pas la question), on peut devenir le personnage d'un de ses livres. Voir sa vie justement écrite noir sur blanc, sa vie sublimée par le prisme de la littérature (quand c'est par des écrivain(e)s à l'éthique irréprochable, com­me Michelle Fourez ou Nicole Malinconi par exemple). C'est donc ce qui arrive à Ana. « C'est en octobre 1995 que j'ai rencontré Ana pour la première fois. J'étais assise à la terrasse de notre jardin, tout en haut de la colline. Une terrasse en bois qui ressemble à une scène de terrasse villageoise. » Ana n'avait plus qu'à monter sur cette scène (elle venait demander à la narratrice de lui donner des cours d'espagnol) pour voir sa vie entrer en littérature. Ou plu­tôt c'est le jour où elle en est descendue comme elle y était venue, sans explication, que c'est arrivé (redonner vie a ce qui a disparu semble un des moteurs de l'écriture de Michelle Fourez depuis ses débuts).

Dans ce bref récit, Michelle Fourez, qui n'a jamais écrit d'abondance (quatre livres en près de quinze ans, tous de courte longueur), s'en tient aux épi­sodes clefs de l'histoire qu'elle a décidé de raconter. Pour n'en rien dévoiler, di­sons juste qu'il y a des secrets comme en recèlent la campagne et les familles, qu'il y a des coups qui se perdent comme quand certains hommes ne sup­portent pas que les femmes disent non, qu'il y a une femme qui va finir par ga­gner sa liberté. Disons — et cela n'est pas une surprise pour les lecteurs de l'écrivaine — que ce texte est aussi, en creux, la suite du portrait que, de livre en livre, l'auteure dresse d'elle-même, de sa vie à la campagne, une vie apaisée, attentive aux gens ordinaires et à la na­ture (le plaisir communicatif qu'elle prend à nommer les fleurs et les ani­maux), loin des grands centres urbains, loin de la littérature cynique, nombriliste qui se vend sur les plateaux de télé­vision et s'écrit par n'importe qui. Là, n'importe qui est vraiment n'importe qui, puisque : interchangeable, jetable. Mais c'est une autre histoire, bien moins exemplaire que celle d'Ana venue des Flandres.

Michel Zumkir