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Critiques de livres


Nathalie GASSEL
Construction d’un corps pornographique
Cercle d’art
coll. AH ! (Revue de l’Université de Bruxelles)
2005
101 p.

Naître femme et devenir soi

Se vouloir autre, s'inventer une nouvelle identité, satisfaire son ego et ses aspirations les plus auda­cieuses, telle est la dure expérience qu'a menée Nathalie Gassel depuis qu'elle a refusé la féminité imposée par la nais­sance puis par l'éducation familiale et sociale. Dans ses livres précédents, elle a maintes fois abordé le sujet, par à-coups, en évocations fulgurantes, d'une poésie inédite souvent, lors même qu'elle en détaillait la matérialité. Ja­mais pourtant, elle n'avait fait le récit de son parcours de manière aussi minu­tieuse, argumentée, systématique que dans son dernier texte, intitulé sans équivoque Construction d'un corps por­nographique. Elle fait le tour de toutes les raisons pour lesquelles elle a rejeté un corps de femme dont elle ne voulait pas, pour lesquelles il lui fallait aban­donner les semblants identitaires et opter résolument pour l'authenticité. « Résolument » est un mot-clé dans le lexique de Gassel. Si elle est portée vers l'exception, les comportements autres que ceux des foules, elle en décide le mode, choisit le moment et la méthode. Bien qu'elle se sente proche d'un cer­tain type masculin auquel elle aimerait ressembler, l'homosexuel viril, elle ne peut satisfaire cette aspiration, et pour cause, et d'ailleurs, elle est au contraire attirée par les « folles ». Elle ne se sent pas davantage proche des lesbiennes auxquelles elle ne concède que des effets de séduction ponctuels. La véritable at­traction, c'est la femme en l'homme qui l'exerce, ou l'homme en la femme, l'idéal étant l'inversion totale. Le mo­dèle sera donc ambivalent, c'est l'androgyne, synthèse du féminin et du masculin. Travail sur le corps donc, qui de­vient un objet de culte, puisqu'il faut s'évader du corps initial. Travail sur soi puisqu'il faut parvenir à s'aimer, à s'em­parer du pouvoir, rayonner de tout son ego, ce qui implique une force inté­rieure qui double la musculature, la se­conde, mais qui en est aussi le résultat. Nathalie Gassel rejette avec force le terne féminin traditionnel, se construit une identité de femme encore rare ou exceptionnelle, sinon inédite, comme cette body-buildeuse qu'elle a photogra­phiée lors d'une démonstration, pas tel­lement différente de ses compagnons d'effort, ce qui indique, selon Gassel, que les catégories hommes/femmes sont périmées. Mais là n'est pas le phéno­mène. Ce corps musclé, poli, objet de toutes les attentions, ce corps-sujet ne se réalisera totalement que s'il atteint la plénitude sexuelle, source de la puis­sance enviée. C'est par l'écriture que Nathalie Gassel parvient au niveau sou­haité et réunit les conditions propices au flamboiement : elle dit écrire avec son corps, se caresser en écrivant, cares­ser le texte lui-même. De même que son corps connaît son « apogée jouissif » lorsqu'elle soulève le métal lourd et force ses muscles, de même elle s'in­vente une érotique scripturale ample, une poétique magistrale de violence cri­tique et de passion.

Jeannine Paque