pdl

Critiques de livres

Nathalie Gassel
Récit plastique
Liège
Éditions du Somnambule Équivoque
2008

Le livre ou les clichés?
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 151

Voilà une alternative tôt déjouée car Nathalie Gassel a choisi dans Récit plastique de faire dialoguer les deux modes d'expression qu'elle pratique depuis longtemps. Selon ses propres termes, cette dernière livraison est un «volume photographique» : dénomination adéquate qui en un seul syntagme peut désigner les signifiants distincts d'une même démarche. Il ne s'agit ni d'un texte accompagné d'illustrations ni d'images avec un commentaire, mais d'un projet unique qui vise selon l'écrivaine à «allouer corps et vie» à ce qui la traverse. Écrire, photographier obligent à une même discipline de mise à distance de soi mais exposent le sujet à risquer une implication directe. Faut-il, pour comprendre ce corps à corps, se référer à la postface de Frank Pierobon? Lecture éclairante certes, mais non directrice car chacun peut aller à découvert au texte de l'auteure, d'autant plus explicite qu'il est parcouru de ces formules saisissantes qui lui sont familières et sont propres à souligner ses intentions : relater son parcours dramatique de l'insignifiance à la conquête d'une «place», de la déréliction au pouvoir; s'opposer à la posture imposée de la féminité, faire disparaître la sensation de désastre intime. Écrire enfin un livre où s'écrire, un de plus, dira-t-on, mais celui-ci est autre. Différent non seulement par l'emploi d'un double discours, mais aussi par la recherche de la méthode la plus ajustée pour serrer de près un parcours dramatique et la quête des mots qui en expriment la qualité poétique. Parmi le choix de textes distincts que propose le livre, il faut en épingler plusieurs qui éclairent le propos de la présente entreprise et même des précédentes, comme «Obscène?» ou «Argent et art». Dans le dernier chapitre intitulé «De la fiction?», Gassel s'efforce de définir les motivations et la matérialité de son travail à l'aide de formules explicites auxquelles elle accède par paliers successifs qui figurent fidèlement le processus qu'elle a suivi, «en dehors du monde habituel, du courant, de la règle, du grand représentatif». Selon une démarche qui progresse non par approximations mais du plus familier au plus symbolique, elle ne néglige aucune de ses aspirations, aucune de ses exigences. Elle qui tente constamment de transmettre au texte «la corpulence de fibres musculaires» qu'elle a fait prospérer dans son propre corps, connaît d'instinct, dirait-on, la puissance des mots qui frappent et l'efficacité des métaphores de combat qui semblent se presser si naturellement sous sa main. Ce qu'elle nomme «transfigurations» du vécu se manifeste selon elle «par l'écriture, le sport et l'art plastique, photographique». Si le texte est clair, les photos ne le sont pas moins, mais exigent qu'on aille au bout de son regard. La plupart auraient pu figurer sur la première de couverture parce qu'elle résument ou récapitulent, à la manière d'un titre ou d'une table. Prenons la photo de la page 21, «L'artiste avec punching-ball». Autoportrait qui montre celle qui se veut «l'artiste», suffisamment dénudée pour exhiber une musculature tendue dans l'effort de toucher le punching-ball posé sur le sol, sans toutefois se départir d'une position immobile, d'une attitude hiératique voire sévère que l'expression du visage ne manque pas de confirmer. Pourtant une lingerie ornée, des bijoux, des chaussures élégantes à talons hauts, un mobilier bourgeois dérangent la première impression, rendent complexe une image qui vient s'inscrire, et c'est le plus important, dans le cadre d'une bibliothèque pleine de livres.