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Critiques de livres

Couverture : André Stas

Alexis Gayo
Variétés avariées
Liège
Éd. du Val
2006
138 p.

Ostracisme et perle fine
par Marcello Venezia
Le Carnet et les Instants n° 146

On était sans nouvelles d'Alexis Gayo depuis la publication de Noirs esquifs, son dernier recueil de poèmes, publié en 1981. Les rumeurs les plus contradictoires avaient couru sur son compte à partir de 1988, après son départ de Guernesey. On avait évoqué sa mort, par suicide ou dans un terrible accident de la route. On l'avait dit aphasique, victime d'une thrombose. On avait même annoncé sa conversion soudaine au bouddhisme, suite à une lecture qui l'aurait bouleversé. Des bruits qui s'étaient estompés comme s'apaise la houle, sans qu'aucune information fiable vienne les remplacer.

Et voilà que l'écrivain revient sur la scène littéraire avec un livre d'allure modeste, publié par un éditeur de province inconnu jusqu'ici au bataillon, qui réserve au lecteur son lot de surprises et ses bonheurs d'écriture.

Surprise, d'abord, au plan formel. Car Variétés avariées apparaît comme un objet improbable, bazar scriptural, folles miscellanées qui rassemblent, entre banalités et fulgurances, des bouts de poèmes, des aphorismes, de courtes nouvelles, mais aussi des listes de commissions, l'horaire du tram 18 à Bruxelles, des extraits de règlements de travail, fragments les plus hétéroclites qui pourtant forment un tout cohérent dont la nécessité ne se révèle qu'au dernier chapitre.

Surprise, aussi, quant aux registres d'écriture dans lesquels s'illustre Gayo. On le connaissait jusqu'à présent comme un lyrique introspectif, développant une prose altière en des phrases fortement charpentées. Et à l'évidence, il reste quelque chose de sa manière ancienne comme dans cette digression (pseudo)philologique où il s'appuie sur l'étymologie commune aux mots «huître» et «ostracisme» pour livrer une méditation sur les sources de la création : contrainte à l'exil intérieur par la coquille qui la tient recluse, l'huître ne fabriquerait sa perle qu'afin d'offrir un miroir à la lumière qui lui manque. Plus grande sa nostalgie, et plus fine serait la perle… Mais au gré des pages, on découvre aussi l'auteur sous des jours plus inattendus. Il fait preuve en particulier d'un humour qu'on ne lui soupçonnait pas, usant de toutes les ressources du comique, du jeu de mots («Miracle : le sang de Jésus sortit par l'aorte et rentra par la enêtre») à la parodie, de la satire au burlesque, agrémentées parfois d'une ironie du meilleur aloi. Dans le genre bouffon, on épinglera un bref récit aux accents gogoliens qui s'intitule «Le parapluie». On y découvre un marchand de parapluies, précisément, que le réchauffement climatique de la planète a conduit au bord de la faillite. Faute d'avoir réussi à se reconvertir à temps, il s'est résigné à devoir bientôt mettre la clef sous le paillasson quand ses affaires recommencent à prospérer, à cause de commandes massives émanant d'un ministère installé depuis peu dans son voisinage. Comme il ne comprend pas la raison de ces achats répétés, il se déguise en technicien de surface pour essayer de découvrir ce que les fonctionnaires font de ses riflards. Il finit par se rendre compte que chaque responsable a sous ses ordres deux sous-responsables chargés d'ouvrir leur parapluie au-dessus de leur supérieur hiérarchique chaque fois que celui-ci doit signer un document : aucune baleine, aucune toile, même les plus solides, ne résistent à ces incessantes manipulations.

Alexis Gayo a eu 75 ans en novembre dernier. Par sa fraîcheur, son livre vient nous prouver que la seule jeunesse qui importe est celle du cœur.