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Critiques de livres


Roland BUSSELEN
Geste de mémoire
Bruxelles
Vander
2003
92 p.

Horizons personnels

Roland Busselen publie régulière­ment, dans une relative discrétion, depuis près de cinquante ans. On imagine donc aisément qu'il est arrivé à un âge où l'heure est au bilan et la tendance à regarder dans le rétroviseur. Geste de mé­moire— en jouant sur les mots dès le titre : s'agit-il d'un ou d'une geste ? — affiche ou­vertement le ton d'une sagesse goguenarde et narquoise marquée de détachement et parsemée de touches d'amertume. Des re­grets ? Pas vraiment mais une clairvoyante sénilité qui vient se réchauffer à récriture. Laquelle écriture se fait tour à tour poème, aphorisme, note ou remarque sur le monde d'aujourd'hui. Toutefois, à mélanger ainsi les genres, Busselen perd parfois en qualité littéraire ce qu'il gagne en manifestation d'humeur(s). Il déçoit un peu quand il s'at­tarde sur des banalités mais il offre aussi de belles images, signe quelques traits d'hu­mour (son épitaphe !) et pose les mots justes sur le bonheur ou la fragilité, même si le constat n'est pas optimiste. Ce livre au­rait gagné à être épuré mais il règne ici un désespoir pudique qui s'accorde la liberté d'encore se réjouir.

Dans Quatrains de veille, Jean-Louis Jac­ques médite sur le temps passé, l'existence, le réel, la beauté des femmes... Ici aussi, le ton a des allures de bilan mais on a l'im­pression d'avoir déjà lu cela quelque part ; ces quatrains semblent préparés à l'étouffée, ils manquent d'audace et de coups d'éclat et ne sont pas non plus l'expression d'une sa­gesse accomplie. Il reste que sa plaquette est un fort élégant objet.


Jean-Louis JACQUES
Quatrains de veille
Véron
La Renarde rouge
2003
29 p.

Alain Germoz s'est manifestement laissé faire par ses amis qui ont décidé de lui ren­dre hommage par ce livre, L'ombre et le masque, premier titre d'une maison d'édi­tions créée dans la foulée de la revue Archipel qu'il dirige depuis dix ans. Pêle-mêle, on trouve ici de la prose, une nouvelle, des poèmes et même des dessins (ces énigmatiques scromphales tracés d'une main qui s'impatiente durant les longs coups de fil comme Dubuffet, en son temps, développa l'Hourloupe). Germoz (né en 1920) a tra­versé le XXe siècle et fréquenté bien des avant-gardes ; il en a gardé une tonique li­berté d'esprit et un élégant savoir-faire du pied-de-nez aux conventions. Il a aussi choisi de cultiver la langue française sans re­noncer à vivre dans une ville (Anvers) de moins en moins ouverte au cosmopolitisme. Tout cela lui confère une distinction (dont il ne s'encombrera sûrement pas), une re­marquable qualité d'expression et un joyeux sens de la dérision. Et lui permet, entre autres, de brosser son autoportrait en forme de manuel de ponctuation ou de faire l'apo­logie de Caïn et de s'élever ainsi contre les errements divins. L'ombre et le masque dé­voile tous les registres d'une identité. Longue vie aux tapinois ! J'avoue que je découvre maintenant seule­ment Véronique Bergen dont ce n'est pour­tant pas le coup d'essai et que je regrette ce retard. Habiter l'enfui ouvre des horizons qui n'ont rien du bilan ; au contraire, ils sont grands ouverts, il s'agit ici d'investir pleinement le présent pour en faire un pourvoyeur de sens dans le futur. L'exer­cice, on le comprend aisément, a une di­mension infinie et ne prend sa pleine valeur que si l'immédiat rencontre de sévères cri­tères d'exigence. Dit ainsi, cela parle d'hu­manisme alors que le livre relève presque du dictionnaire du travail de l'écriture...


Véronique BERGEN
Habiter l'enfui
Bruxelles
L'Ambedui
2003
115 p.

Contradictoire ? Non pas. La parole est l'es­sence de l'homme, elle l'habite et l'engage, elle l'occupe et le pousse. Ainsi, en résumé, plus la parole se fait forte, cohérente, prégnante, mieux l'homme existe. Et puisque le poète est le préposé social au jaillissement créatif du verbe, il doit aussi en explorer toutes les facettes, en dépasser les limites mais encore en dénoncer les abus et les tri­cheries. L'auteure n'écrit pas de poèmes sur les poèmes mais utilise le genre poétique pour lui donner un développement philoso­phique et une déontologie. Le lyrisme du style déploie une analyse des (dys)fonction­nements du langage. Il faut bien utiliser des mots pour parler des mots mais il faut aussi les accorder avec justesse pour qu'en émerge une résonance qui fera sens à leurs usagers humains. Ce qui s'énonce ici est fondateur. Et l'écrivain fait de ce qui fuit un nouveau -paysage.

Mon approche est trop brève pour dire ce recueil dense et fulgurant, abordant aussi les questions du temps et de l'amour, et qui m'apparaît comme un livre majeur.

Jack Keguenne


Alain GERMOZ
L'ombre et le masque
Antwerpen
Archipel
2002
96 p.