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Critiques de livres


Noël GODIN
Godin par Godin
Editions Yellow Now
coll. Côté cinéma
2001
Préface de Jean-Pierre Bouyxou
153 p.

En attendant Godin

L’austère cinéaste Jean-Marie Straub, auteur de la Chronique d'Anna Magdalena Bach, fut inculpé, il y a de cela une trentaine d'années, pour avoir atta­ché des mèches d'étoupe enflammée à d'in­fortunés pigeons, qu'il envoyait ainsi harna­chés s'écraser dans les champs ; cela à des fins, prétendit-il, de « simple expérience mi­litaire ». Otto Preminger, lui, se signala à l'attention pour des faits de voyeurisme : il eut en effet l'idée singulière de se faire construire une caméra spéciale équipée d'un taret, grâce à laquelle il perçait des trous dans les murs des chambres d'hôtel afin de pénétrer l'intimité de ses voisins. Quant au grand réalisateur italien Luchino Visconti, il vécut un jour une expérience fort étran­ge : des sons musicaux paraissaient émaner de l'intérieur de sa bouche ; il s'avéra en dé­finitive qu'un plombage en était la cause, lequel, réagissant avec l'acidité de la salive, produisait un « effet de galène » et captait ainsi les sons émis par une station de radio. Tels sont quelques-uns des canulars (et pas les plus hénaurmes) que Noël Godin, alias Georges le Gloupier, alias l'Entarteur, ba­lança dans les gencives, c'est le cas de le dire, des abonnés de la revue catholique Les Amis du Film, entre 1969 et 1973. On se prend à rêver, rétrospectivement, à la manière dont ils furent reçus par des lecteurs habitués à une prose autrement sanctifiée. Combien d'entre eux ne furent-ils pas pris pour argent comptant ? Tant est grande la crédulité hu­maine, pourvu que ce qu'on lui donne à gober figure noir sur blanc dans dans les pages d'un quelconque canard. D'autant que Godin savait caresser le paroissien dans le sens du poil, n'hésitant pas à inventer à son usage une providentielle épidémie de conversions qui aurait touché le monde du cinéma, de Clouzot à Joseph Losey en pas­sant par John Huston... En republiant ces chroniques, ainsi que celles parues dans le magazine Visions de 1982 à 1985 et quelques autres documents, les Edi­tions Yellow Now font oeuvre triplement utile. D'abord, elles nous rappellent oppor­tunément que Godin n'est pas seulement un adepte inconditionnel de la bamboula et un spécialiste en « attentats pâtissiers », mais aussi un authentique érudit, un cinéphage à l'impressionnante et pléthorique vidéothè­que (voir, pour les collectionneurs, la couver­ture du n° 87 du Carnet). Et que si ses pro­pos paraissent souvent faire peu de cas de chefs-d'œuvre unanimement reconnus, alors qu'ils portent au pinacle des œuvrettes à peine regardables, ce n'est pas là l'effet de quelque ignorance ou méconnaissance, mais celui d'une partialité assumée sans remords. En effet, sous l'apparence de joyeuses élucubrations, ses écrits sont le reflet d'un point de vue parfaitement cohérent — sur le cinéma, sur l'art, sur les médias, sur la société —, point de vue lui-même indissociable d'un art de vivre. Derrière l'éternel potache et le franc-tireur impénitent se cache (si peu il est vrai) un hédoniste doublé d'un utopiste. Le cinéma selon Godin est là pour nous faire rêver, pas pour nous faire réfléchir ; pour nous enthousiasmer ou nous révolter, pas pour nous plonger dans les affres de l'intros­pection. En un mot, et n'en déplaise aux « mizoguchiens-dreyeriens du premier rang » (dixit N. G.), le cinéma est un moyen d'en­gendrer l'ivresse, non un instrument de mor­tification. Quant à la question de savoir qui, d'Orson Welles ou de W.C. Fields, est le plus grand, on se doute bien que la réponse ne fait pas un pli, et que l'auteur de Citizen Kane est prié d'aller se rhabiller séance tenante. Que tous les cinéphiles atrabilaires et autres cou­peurs de pellicules en quatre se le tiennent pour dit. C'était là notre second point. Enfin, et ce n'est pas le moins intéressant, Noël Godin, en plus d'être un lanceur de projectiles redoutable, est aussi un styliste de première bourre, que n'aurait pas désavoué Rabelais en personne. Les « Critiques du cinémaroufle », reprenant les textes parus dans Visions, contiennent quelques morceaux d'anthologie (parmi lesquels « SOS francs navets », ébouriffante défense et illustration du cinéma populaire), qui mériteraient d'être donnés en exemple dans les classes de français, où ils illustreraient fort à propos la problématique des niveaux de langue et l'utilisation créative du « parler vert »...

Daniel Arnaut