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Critiques de livres

Alain Goldschläger, Jacques Ch. Lemaire
L'imaginaire juif
Liège
Éditions de l'Université de Liège
2008
270 p.

L'imaginaire juif
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants n° 151

Quels sont les grands traits de l'imaginaire que les communautés juives dispersées à travers le monde occidental, victimes durant deux mille ans de discriminations et de persécutions, ont réussi à préserver, «ces valeurs essentielles communes et ces manières de penser similaires»? Goldschläger et Lemaire ont choisi d'étudier cet imaginaire chez des écrivains, Spinoza, Simone Weil, Kafka et Primo Levi, confrontés à une double réalité. L'interdit mosaïque de la représentation de la divinité a conduit le judaïsme à concevoir «un Dieu ambulatoire sans image et sans statue», et dès lors à privilégier la lecture de la parole divine. La connaissance du livre et l'étude deviennent des valeurs essentielles et modèlent profondément la vie des communautés. L'autre composante tient au malaise à se situer : sans patrie, donc sans projet politique qui aurait pu fonder une identité, errants ou maintenus en marge des sociétés et des nations, les Juifs sont nécessairement partagés entre deux visions du monde, la judaïque et celle de la culture dans laquelle ils sont, plus ou moins, acceptés. Cela entraîne d'emblée un porte-à-faux dans l'expression : l'écrivain doit-il ne parler qu'aux Juifs ou nier des parts importantes de son appartenance juive pour s'adresser à la culture que l'on pourrait qualifier d'emprunt (on n'oserait parler «d'accueil»). Cela se traduit par une question primordiale : en quelle langue écrire? Kafka en est sans doute un des exemples les plus marquants, hésitant entre allemand, tchèque, yiddish ou hébreu. Ce sont là les principaux traits déclinés en de nombreuses conséquences.

Aussi ingénieux et subtil qu'il soit, le livre nous semble cependant appeler quelques réserves. D'abord, l'imaginaire tel qu'il est envisagé reflète une conception très abstraite : l'imaginaire, c'est sans aucun doute une attitude mentale, mais ce sont aussi des contenus, des concrétisations, qui ne sont pas, ici, prises en compte. En choisissant «certains auteurs», peut-être les plus intellectualisants, et en en négligeant d'autres, tel I. B. Singer, Goldschläger et Lemaire restent à un niveau très général et une part de leurs affirmations reflètent la situation de tous les écrivains, ou des écrivains qui pour des motifs divers sont aux marges, sans être pour autant marqués le judaïsme.

D'autre part, le propos est souvent quasi apologétique. Comparaison est faite avec la religion et la culture chrétiennes. La description en est fréquemment sans nuance et monolithique, presque caricaturale; éludant aussi la question de l'attitude laïque et de la prise de distance que celle-ci représente dans une culture occidentale il est vrai marquée par le christianisme. La comparaison est toujours à l'avantage du judaïsme, selon un schéma très dichotomique, vie/mort, modernité/passéisme. Par contre, des aspects plus dérangeants ou moins modernes du judaïsme sont banalisés, comme la notion d'impureté de la femme durant ses menstruations : l'excuse avancée alors est l'universalité de cette coutume.