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Critiques de livres


André STAS / ERRO
Grenailles errantes
La Pierre d'Alun
Bruxelles
1995

Un sérieux goût de la fête

Avec Grenailles errantes, André Stas ne démentira pas la réputation de joyeux iconoclaste, de dilettante in­vétéré et de recolleur de morceaux qu'il s'est très vite forgée dans le monde culturel par-delà nos frontières. Comme, tout à l'heure, il découpait, rassemblait et détournait des images à rire et à grincer, à présent il re­tourne des mots, dérobe des phrases et enfile un collier de fragments qui, sans jamais suc­comber à la tentation du récit, finit tout de même par nous raconter une histoire intime, dans ses creux et ses absences. Une histoire de pierre, à la fois dure et instable, dont les grains se déplacent au gré d'un hasard qu'on dirait presque objectif. Une histoire de plombs, inoffensifs en principe, que l'on s'amuse à tirer dans les fesses et les mollets des donneurs de leçons. Une histoire belge, comme cette expression du code de la route tombée en désuétude, signalant aux usagers le passage sur un terrain périlleux. Ici, il y a un peu de tout. Du subtil et du gé­néreux. Du tendre et du grimaçant. Le rire et la tentation des larmes. Le ciel et le caca (mais « Qui ne peut envisager sa merde, /ignore tout de son état de santé »). Nietzsche et Johnny Hallyday. Stendhal et les amis. Les Gnostiques et les « insanitaires » trouvés (ou est-ce un fé­minin ?) sur la porte des W.-C. Tout ce peu tend à former, au milieu d'un roboratif tohu-bohu d'anecdotes, d'aphorismes, de courts poèmes et de réflexions plus intimes, mélangé aux folles images d'Erro ponctuant le texte, un art poétique qui est en même temps un art de vivre, les touches pudiques et impudiques d'un paysage affectif nous entraînant bien au-delà du livre.

Au fil de ses itinérances, du travail au tro­quet et de bosquets en librairies, André Stas s'adonne au plaisir des récoltes. Il est l'en­fant entassant cailloux, plumes et cadavres pour se constituer un trésor personnel. Il est le collectionneur bizarre qui accepterait de partager ses découvertes, ne résisterait ja­mais au désir de combler l'oreille attentive, de faire briller les yeux. Aujourd'hui, il a composé un livre dont les prolongements supposés dans le passé et l'avenir font une tranche de vie, au sens littéral du terme, un hommage au quotidien, à sa vertu formative, à tout ce qui touche en lui de banal et de singulier. Et pour demain, que nous ré­serve-t-il ?

Françoise Delmez