Daniel Grodos, de quelque part
« C’est vrai qu'ils sont plaisants, tous ces petits villages, tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités. » Il arrive parfois que, grâce au talent d'un écrivain, l'un de ces coins charmants échappe à l'évidence des cartes postales pour se transformer en espace littéraire aux significations inépuisables. Malmédy, par exemple, où Daniel Grodos situe le début de son premier roman, Lithographie de L'Eifel et de l'Arh avec dédicace au Kronprinz. Nous avons dit dans un de nos précédents numéros (Le Carnet et les Instants n° 82, mars 1994) tout le bien que nous pensions de cette œuvre, publiée au Cri en janvier dernier. Nous ne sommes pas seuls à en avoir vanté les mérites. Dans Le Soir (26 janvier 94), Pierre Maury parle d'un livre « ambitieux », « séduisant » et même « enthousiasmant ». Ghislain Cotton, dans Le Vif-L'Express (4 mars 94) le présente comme « un superbe premier roman (...) dont la veine originale et la généreuse amplitude attestent un talent qui n'a sans doute pas fini de nous étonner ». Et Daniel Simon voit dans cet ouvrage « une magnifique quête d'identité » (Le Généraliste, 10 février 94), tandis que D. Meurant, dans L'Effeuillé, invite ses lecteurs à découvrir « un prodigieux roman d'aventure ».
Né à Houffalize en 1950, Daniel Grodos est médecin et vit à Malmédy, où il a exercé pendant un temps des responsabilités politiques. Une spécialisation en pathologie tropicale l'a conduit à travailler comme consultant en projets de santé pour le tiers-monde. C'est à ce titre qu'il a voyagé en Amérique du Sud (il a séjourné deux fois en Colombie) et en Afrique.
La tentation est grande de rapprocher son parcours de celui d'Emmanuel Beaufort, le héros de son roman. Lui aussi installe son cabinet médical dans la petite ville de M*, où il a grandi. Un séjour en Afrique puis le décès accidentel de sa femme et de son fils unique le pousseront à tout quitter pour changer radicalement d'existence. On le retrouvera en Colombie, mêlé à l'action de guérilleros. Pourtant Grodos se défend d'avoir fait œuvre autobiographique : bien que son roman en ait l'allure, affirme-t-il dans une interview donnée à D.N. pour Le Courrier-Lé Jour du 29 décembre 93, « les gens qui me connaissent sauront qu'il n'en est rien. » Dans notre recension pour Le Carnet, nous avons d'ailleurs analysé les stratégies narratives qui permettent à l'auteur de récuser d'avance toute assimilation de sa personne à ses personnages. Il reste que la ville de Malmédy est bel et bien identifiable, au même titre que d'autres lieux évoqués par le texte. Et comme les protagonistes du roman développent des réflexions très critiques à son propos, comme en outre, le récit interroge les ambiguïtés, les non dits de son histoire, il n'est pas étonnant qu'il ait provoqué chez les lecteurs de cette région d'Ardenne de vives polémiques, au point qu'on a pu y . parler d'une « affaire Grodos ». La réaction la plus virulente, la plus amusante aussi dans ce contexte, fut celle de René Dehez, qui publia deux chroniques assassines dans Les Echos de Malmédy (17 et 24 mars 1994). C'est pas un lieu commun celui de sa naissance, déclarait-il en substance. Si donc le Docteur Grodos ne s'y plaît pas — et comment s'y plairait-il puisqu'il se permet d'en critiquer jusqu'aux monuments aux morts, qu'il juge « hypocrites » — il devrait « refaire sa vie sous d'autres cieux plus cléments »... Condamné pour crime de lèse-clocher, du moins Grodos aurait-il pu faire valoir la portée littéraire de son entreprise : une réplique normale en temps de fatwa. Hélas, dans son premier article, René Dehez avoue qu'il n'a pas lu le livre, mais seulement les critiques qui ont paru à son propos. Quinze jours plus tard, il en est enfin arrivé au bout, « ce ne fut pas facile », vu « sa construction un tant soit peu cahoteuse », mais cette tâche compliquée lui a permis, heureusement, de ne pas vraiment changer d'avis.
Plusieurs personnes ont répondu à ces articles, notamment Georges Scheen, un lecteur des Echos, qui prend la plume pour se réjouir de « l'avènement d'un auteur issu du territoire malmedien et qui a recueilli dans la presse nationale et française des éloges si flatteurs ». Et le chaleureux portrait de Daniel Grodos que brosse Hervé dans La Meuse (Verviers) du 26 mars 94 est destiné lui aussi à célébrer l'enfant du pays. L'article ne paraît-il pas dans une rubrique intitulée « Les Wallons » ? Sans doute est-il facile d'évoquer Cloche-merle. Peut-être est-il de bon ton, par ailleurs, de ne parler des livres qu'en termes d'effet esthétique. Si le beau roman de Grodos a dérangé, pourtant, n'est-ce pas d'abord par sa capacité à parler vraiment du monde où il s'enracine ?
(Revue de presse : C. V.)