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Critiques de livres


Stefan LIBERSKI
G.S. écrivain tout simplement
Albin Michel
1996
212 p.

G.S., homme d'aujourd'hui

Douze ans après avoir publié Beau fixe chez Cistre, Stefan Liberski, le Snul barbu de Canal + remet ça, avec G. S. écrivain tout simplement. Ouf ! On y est arrivé. On voulait absolument trouver une première phrase où les initiales du personnage seraient citées, comme dans la plupart des 116 parties (numérotées) de ce roman. Les initiales mais jamais le nom complet. G.S. est un être privé d'identité véritable, un écrivain sans livre « (II n'avait encore rien publié, sinon quelques « textes » dans une ou deux revues, mais il avait de nombreux manuscrits en train. L'âge venant, il se promettait d'être prolixe) », un pédé refoulé, un mondain à l'affût de toutes les modes intellectuelles (lui dont la seule culture provient des idées de son meilleur ami ou de citations le plus souvent puisées dans les dictionnaires), vestimentaires (pingre, « il finit toujours par se dire qu'il se fiche pas mal de la manière dont il s'habille »), artistiques (il aime l'art conceptuel, la musique et la danse contemporaines, tous ces arts qui peuvent se noyer dans un charabia vide et fumiste — Liberski, un rien réaction­naire, un rien de mauvaise foi, rejette les avant-gardes). Il se voudrait élégant là où il faut, vulgaire quand nécessaire, pertinent en toute occasion, admiré de tous. Et célèbre. Et inoubliable. Pour la cause, il rédige son Jour­nal (avec majuscule) : un journal que nous, lecteurs, nous savons avec mini minuscule parce que tronqué, truqué, uniquement écrit par un ego gonflé au maximum qui n'a pour seul désir que de laisser la meilleure image de lui (si c'était avant sa mort ce serait mieux, il profiterait des retombées). Il y parle avec moult détails des stars qui croisent son che­min mais qui, en réalité, le saluent à peine, de sa vie sexuelle débordante, lui qui n'est qu'un bande-mou, un débande-vite aux aventures raréfiées. Ce n'est que lors de la mort de sa mère qu'il commence à nous toucher. Bien sûr, il ne se montre pas à la hauteur de l'évé­nement mais, dans cet épisode, on sent poindre ses failles fondatrices. Il n'est plus seulement ridicule, risible et pitoyable, il nous touche. « Des larmes lui venaient aux yeux. Il éprouva le violent besoin d'être chez lui, d'être « après », devant son ordinateur, au res­taurant, au cinéma, n'importe où, pourvu que ce fût dans la remémoration plutôt que dans l'événement. » L'on sent enfin pourquoi il n’est jamais, pourquoi il paraît toujours : « J'adore mon temps ! rugissait-il. J'adore les jeux vidéo, les réseaux informatiques, le rap, les banques de données (...) Pourtant restait toujours ce coin enfoncé au plus profond, ce qui parfois avait la couleur de l'Espagne de son enfance et qui, bien malgré lui, le déses­pérait. » Et si nous retournons quelques pages en arrière : « G.S. aimait la culture car il aimait le profond sentiment de sécurité qu'elle lui procurait. » Et là, on ne peut s'empêcher de faire référence à Guy Debord et son livre culte La société du spectacle (pour­tant on a essayé de résister, on ne voulait pas faire notre G.S., lui qui parfois nous res­semble déjà trop, lui qui aime se référer à Lacan sans jamais en avoir lu un ouvrage complet) et de se dire qu'il en est un pur pro­duit, quelqu'un sans activité, quelqu'un de passif, quelqu'un du discours sur lui-même (il adore s'auto-interviewer), quelqu'un du pres­tige immédiat... Quelqu'un d'aujourd'hui, croqué par un Liberski qui a laissé tomber son costume de clown bruxellois sans pour autant perdre l'acuité de son regard belge, ce regard décalé, détaché, ironique, féroce, voire cynique.

Michel Zumkir