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Critiques de livres

Gudule
Valentin Letendre
frisson, amour et maléfice
Paris
Plon
coll. Jeunesse
2008
315 p.

Paula, Valentin, Kiekebish et les autres
par Karel Logist
Le Carnet et les Instants n° 151

Si la romancière Gudule — pseudonyme d'Anne Duguel — est loin d'être une nouvelle venue en littérature de jeunesse, son personnage Valentin Letendre naît en 2006, dans une première suite d'aventures cataloguées héroïc fantasy par l'éditeur. À ce propos, Gudule confiait au Carnet voici quelques années : «Les gamins aiment avoir peur et ça me plaît de faire peur aux gamins1.» Elle comptait alors déjà plus de cent cinquante titres parus, dont quelques gros succès, comme La bibliothécaire ou L'amour en chaussettes... Entre-temps, elle s'est aussi fait un nom avec ses romans pour adultes. Cette auteure chevronnée nous donne avec Frisson, amour et maléfice un roman d'une grande lisibilité combinée à une efficacité dramatique impeccable, original par son ingénieuse composition, qui consiste à faire se succéder trois histoires liées au sein d'un seul et même roman.

Il est vrai que Valentin Letendre, treize ans, semble très doué pour se retrouver au coeur de multiples aventures où la panoplie du fantastique et de l'horreur se déploie volontiers. Dans le premier volet de ce triple roman, appelé à la rescousse de sa grand-mère, dite Mamie Blou, il annule un stage de plongée, non seulement pour retrouver sa cousine aux lèvres si douces, mais aussi pour partir à la chasse au fantôme. Grâce à une zapette providentielle, Valentin remontera le cours du temps jusqu'à se retrouver en France pendant l'Occupation et modifier in extremis la destinée de sa grand-mère Adriana...

Alain Dartevelle
Les cailloux de Saturne
Averbode
Éditions Averbode
coll. 7 en poche
2008
69 p.
sur abonnement.

Au retour de ces vacances mouvementées, notre jeune héros, victime d'un accident de la route, se voit transporté dans un village mystérieusement coupé du monde. Y habitent des morts plutôt attachants qui «vivent» tant qu'ils sont présents dans les pensées des vivants, et sinon disparaissent... Valentin ne se sortira pas sans heurts de ce mauvais pas puis courra de nouveau au secours de sa Mamie Blou. Cette fois, cette dernière est tombée dans les bras — et entre les griffes — d'un écrivain biographe doublé d'un savant fou qui vide sa mémoire ! Enfin, et surtout, Valentin aime beaucoup les baisers, ceux de Kyo sa cousine, dite «le péril jaune», et aussi ceux de Lili, pour changer un peu!

C'est peu dire qu'on ne s'ennuie pas à la lecture de ce livre vif et drôle à conseiller aux jeunes pour qui littérature est forcément synonyme de corvée.

Alain Dartevelle n'en est pas non plus à son premier écrit pour la jeunesse, puisque Océan noir avait été republié voici une dizaine d'années chez Espace Jeunes Labor. On rencontre dans ce roman-ci l'envie d'une pure récréation littéraire. Les cailloux de Saturne ont pour cadre une cité du futur — on est au XXIVe siècle — où humains, extraterrestres et grenouillards vivent en bonne entente et font ensemble affaires, magouilles et trafics. Et cela donne un bien curieux roman jeunesse, puisque l'on n'y croise pas un seul adolescent, mais seulement des adultes, dont quelques centenaires. Un flic débonnaire, sorte de Maigret intergalactique, et son adjoint mutant, enquêtent sur un marché suspect de pierres de Saturne. Ils vont croiser en chemin un robot agent secret, mais aussi le mystérieux docteur Nox, un des parrains de la mafia intersidérale, qui semble en savoir long...

Éva Kavian
La dernière licorne
Namur
Mijade
coll. Romans
2008
216 p.

Au terme de diverses tribulations allusives et réjouissantes, Dartevelle propose une plaisante variation sur le thème de l'élixir de jouvence. Car cet auteur atypique, voire dérangeant dans le petit monde de la science-fiction francophone, s'amuse et nous amuse aussi avec ce texte qui se joue délicieusement des clichés d'un genre dans lequel il ex-celle depuis vingt-cinq ans. Grâce à cette habile remise en question des stéréotypes de la SF, ce roman se lit aussi comme une parodie.

À ne pas manquer, cette page d'anthologie qu'est le festin au Gem's, une des meilleures tables de Gigapolis, avec au menu des mets aussi fins que le clafoutis au concassé de grillons ou la crème au sang de chien lunaire... De quoi se lécher les mandibules ! Un seul regret lié aux «données techniques» de la collection (100 000 signes !) : on a à peine le temps de s'attacher à l'inspecteur Kiekebish, à Cricky, à Gina Madrigal, alias Guido Magirus, que déjà le charme est rompu. On espère bien les retrouver dans de nouvelles aventures...


Depuis quelques années, Eva Kavian nous a habitués à de courts romans à l'écriture nerveuse et fluide. Elle en est à son premier livre de jeunesse – bien qu'elle affirme ne pas l'avoir écrit pour un public ciblé – et livre un texte dense, qui met en scène, non sans humour, des sujets graves, puisque l'aphasie et l'euthanasie sont au centre de La dernière licorne. Il s'agit ici du journal d'une adolescente en crise. Un journal ponctué de bilans : Paula cherche sa place entre sa soeur Anna, aphasique depuis une chute dans l'escalier, et sa mère qu'elle trouve trop peu attentive. Depuis l'accident, plus rien n'est comme avant dans cette famille. Et voici que le grand-père, qui lui non plus ne parlait plus, après plusieurs attaques, meurt étouffé. Entre lui et Anna s'était développée une vraie affection, une relation profonde. Dans un premier temps, c'est le père de Paula qui va s'accuser d'être le responsable de cette euthanasie. Mais au cours de la cérémonie funéraire, la culpabilité d'Anna apparaît au grand jour et celle-ci se voit imposer un séjour, en observation, dans une institution psychiatrique. La «stéréo» – c'est ainsi que Paula appelle ses parents, couple harmonieux s'il en est – ne sait absolument pas comment réagir à cette situation. Paula propose alors de prendre la place de sa soeur, de jouer son rôle... S'ensuit pour cette généreuse adolescente une plongée dans le quotidien d'une clinique psychiatrique où elle participe, muette, à la vie de Marie-Rose, Jacqueline, Jill, et de quelques autres «débiles sévères»... En échange de ce renoncement, elle retrouvera les mots et l'amour de sa mère. Anna trouvera le bonheur et Paula la promesse d'un premier amour. Il y a beaucoup d'humanité et de compassion dans ce beau livre ponctué d'épisodes poignants. Éva Kavian signe un récit bouleversant sur la communication mère-fille, sur l'amour fraternel et sur l'aliénation. À coup sûr, elle touchera en profondeur tous les jeunes amateurs de questions d'éthique et de sujets graves traités sans complaisance. Un livre qui tourne le dos à la superficialité ambiante. Kavian, Gudule, Dartevelle; comment ne pas se réjouir que de plus en plus d'écrivains «adulte» partagent leurs univers fictionnels, élargissent et font grandir l'horizon des livres de nos adolescents?

1. «Gudule, une artisane», entretien avec Michel Zumkir, in Le Carnet et les Instants, n° 115, 2000.