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Critiques de livres

Pierre Guyaut-Genon
Dommages partagés
Avin
Luce Wilquin
2007
212 p.

Vacances au fond de soi
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 148

Dans leur villa toscane, sur les collines de Volterra, Mario et Sandra attendent deux couples d'amis pour passer un week-end d'arrièresaison, de fin de vacances. Mario est riche et s'amuse dans la vie; Sandra est belle, mannequin et se préoccupe de ses rides, elle a vingt-sept ans de moins que lui. Les premiers qui arriveront seront Pascale et Bernard, une psy et un excadre (il s'est fait licencier par son entreprise après avoir piloté un programme de licenciement massif – mais il n'a pas encore osé le dire), puis viendront Fiona, une employée de Mario, et David, un artiste de variétés (qui a abandonné son groupe alors en plein succès et n'est pas sûr d'avoir bien fait).

Si Mario connaît tout le monde, les convives vont se découvrir entre eux, s'apprécier tant bien que mal, par égard pour leur hôte qui les invite avec faste, mais surtout, dans cette promiscuité, vérifier, chacun à part soi, l'image que les autres lui renvoient. Et dans l'intimité des chambres, personne ne réussit à recoller les morceaux, ni pour soimême ni pour son couple. Tous ces bourgeois bohèmes ont la quarantaine, ils vivent dans une certaine aisance (avec Mario, tellement au-dessus d'eux!), mais ils traînent déjà un long passé et s'inquiètent encore plus pour l'avenir en voyant leur énergie et leur enthousiasme diminuer. Une accumulation de vécu et de non-dits gouvernent leurs problèmes existentiels et/ou sexuels.

À table, au bord de la piscine ou en excursion, chacun tente de mener la conversation, de se présenter le plus finement possible tout en essayant de déjouer les ruses de la conversation des autres. Mario, «dur en affaire, doux à vivre», arbitre avec élégance, tantôt provocant, tantôt apaisant, de manière à ce que les échanges comportent ce qu'il faut de piquant pour qu'ils restent «rigolos» (son mot préféré). Sandra observe avec une certaine crainte à l'idée que, l'âge venu, elle leur ressemblera. Seul Bernard semble absent : préoccupé par ses ruminations et attendant un signe du destin, il n'arrive pas à s'intégrer dans ce groupe de «frimeurs». Et si Pascale, sa compagne, décrypte assez bien les personnalités des autres, elle peine à se connaître elle-même et à comprendre les problèmes de son couple.

Pierre Guyaut-Genon donne un livre un peu confus dans sa première partie (on a du mal à identifier clairement tout le monde), mais son style a la légèreté volubile de ses personnages, et il les donne à voir tels qu'en eux-mêmes, sans jugement extérieur. Avec le temps, le récit s'anime, les dialogues s'égayent (entre des protagonistes désormais identifiés) et tournent par moments en un festival associant bons mots et vérités cinglantes. Livre drôle sur situations tragiques? Guyaut-Genon ne fait que mettre en scène ce qui se dit sur les divans de psys ou se chuchote dans les salons bourgeois – directement branché sur l'époque. Et puisqu'il s'agit de «dommages partagés», le lecteur peut même choisir s'il décide que cela finit bien ou mal…