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Critiques de livres


Nicolas ANCION
Haute pression
Le Grand Miroir
La Petite Littéraire
2004
53 p.

On a besoin de pluie

Personne n'oubliera l'été 2003. Une canicule qui dure. Les forêts qui flam­bent dans le Sud. New York en panne d'électricité. Bertrand Gantât frappe Marie Trintignant à Vilnius, à la fin d'un tour­nage. Les gens sont nerveux. Il y a des cris dans la nuit, les peaux sont moites, l'air est lourd, chargé, on n'arrive pas à dormir. C'est de cet été-là qu'il s'agit dans haute pression, un petit livre de 50 pages publié par Nicolas Ancion aux éditions Le Grand Miroir

II y a quelques années, un très beau film de Chantai Ackerman esquissait cette attente, dans la ville survoltée, d'une pluie qui ne vient jamais. Les passions se déchaînent, la tension monte, les sentiments humains s'exaspèrent.

Un été orageux, pas d'air, pas de fraîcheur, l'été 2003. La ville attend l'orage et il ne vient pas. C'est dans ce climat très particu­lier qu'Yvon Kempeneers, créateur de cam­pagnes promotionnelles pour l'industrie pharmaceutique, s'aperçoit à quel point sa vie, son boulot n'ont plus de sens. Un créa­tif usé, dépourvu de cet appétit, de cet en­thousiasme qui fait les « winners », c'est un homme mort. Et voilà que cet homme, au volant de son Audi, dans le confort du conditionnement d'air, bouleverse sa vie pour quelques secondes d'inattention : sa voiture accroche un piéton sur un passage protégé. Un jeune homme musclé et bronzé, avec un T-shirt blanc rebondit sur le capot de sa voiture. Un grand choc. Yvon a plus de 0,5 milligrammes d'alcool dans le sang. C'est un désastre, il ne faut pas que l'accident s'officialise. Il fait asseoir le jeune homme dans sa voiture et s'échappe du lieu du drame. Or, le jeune homme plonge derechef dans un sommeil profond. Un or­gane vital aurait-il été touché ? Yvon se sent lâche et maladroit. Que faire, pour éviter d'être coincé... Lorsque l'adolescent se réveille, il se sent soulagé et le dépose où il le souhaite, près du canal. Et puis se morfond dans la nuit torride en s'inventant des scé­narios morbides. Une telle somnolence n'indique-t-elle pas des lésions internes graves ? Son blessé serait-il mort à présent ? Il n'a aucun moyen de le joindre pour en avoir le cœur net. Mais une enveloppe tom­bée entre les sièges va relancer ses re­cherches. Ce type est-il mort ou vivant ? A Vilnius, Bertrand Gantât est emprisonné. Ses coups ont tué Marie Trintignant. Non-assistance à personne en danger, ça suffit déjà pour alerter la justice, pense Kempe­neers.

« II aurait aimé décerner des gifles à la plu­part des collègues qu'il croisait dans les cou­loirs. Et pisser dans leur verre lors de la ré­union de l'après-midi » : pas besoin de grands discours pour comprendre l'état dé­pressif d'Yvon Kempeneers. Dans cette fable qui se sert de la réalité météorologique et journalistique, Nicolas Ancion excelle à décrire les sentiments qui s'exacerbent : « On a besoin de pluie, on a besoin de fraî­cheur. Nous ne sommes pas faits pour des étés pareils. » Des petites phrases comme celle-là ponctuent le roman, on aurait pu les entendre partout à Bruxelles et ailleurs, cette année-là. En quelques pages, se saisis­sant de bribes de la réalité et de sentiments partagés, Nicolas Ancion réussit à nous em­mener dans le suspense d'une histoire qui aurait pu nous arriver aussi. C'est plein d'humour, de personnages typés, de GSM traîtres et de sentiments. Ce n'est pas l'am­biance décalée et poétique du Cahier gon mais c'est un petit livre à lire instantanément pour se souvenir autrement de l'été dernier...

Nicole Widart