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Critiques de livres


Guy DELHASSE
Hibakusha
Editions Lignes Noires
Paris
2000
250 p.

Un noir couleur locale

Quel rapport entre un chroniqueur Astronomique, Liège, un patron de restaurant chic mais en perte de vi­tesse, Hoûte-Si-Ploût, une gamine fugueuse légèrement nymphomane et les rescapés d'Hiroshima ? Quel rapport : le polar écrit par Guy Delhasse.

Lundi 3 juin 1985. Herstal, banlieue de Liège, très exactement esplanade de la Paix. C'est là qu'habite Jacques Delporte, ancien journaliste, viré de son quotidien adoré et qui se retrouve chroniqueur gastronomique pour le mensuel Scoop Magazine. Son stu­dio ne paye pas de mine. On imagine l'homme, gabardine mastic, pantalon râpé, bagnole sans âge. Colombo version journaleux. Grand bavard, pilier de bistrot devant l'éternel. Vous détaillerez très bientôt tout l'attirail du reporter d'époque : appareil photo, enregistreur, machine à écrire, rames de papier A4, clopes, tasses de café, R5 pourrie, fantasmes à cinq sous : les Bahamas et les massages fripons d'Anita. Côté réaliste, Guy Delhasse ne lésine pas : on traverse Liège et ses coins perdus ou charmants sans la moindre tentative de ca­mouflage. A peine le nom des restaurants ou des cuisiniers est-il travesti par un jeu changeant de lettres. On reconnaît ainsi beaucoup de paysages, de personnages, d'histoires qui traînent au fond des bars. Un joli jeu de piste pour qui aime démêler la réalité de la fiction.

Ici aussi, notre héros est de la race des « loosers », race si profitable à la plume de l'écri­vain. Jacques Delporte n'enquête plus, il obéit à son patron qui négocie des pubs pour des restaurants et des publi-reportages. Ce sont des pseudo-rédactionnels que notre héros commet avec le sentiment de perdre son âme. Parfois. Souvent, il doit même ruser pour arriver à se faire inviter à la table dont il va parler. Journalisme vendu, sans envergure. Mais voilà que ses rêves le rattra­pent au détour d'un simple reportage orga­nisé par son patron à Hoûte-Si-Ploût, au restaurant du « Vieux Moulin ». Une char­mante apprentie de seize ans se glisse inco­gnito dans sa voiture, le propriétaire du res­taurant est enlevé le soir même de l'interview, il se passe des choses étranges dans la bonne ville principautaire. On est en 1985.

L'époque des tueries du Brabant wallon, des Cellules communistes combattantes, de la place Saint-Lambert, béante, encore au cœur de la ville. Le Forum est fermé. Les chanteurs ne passent plus par Liège. On ne veut pas que s'installent les euromissiles. On manifeste.

Mais tout cela n'a plus de sens quand un homme disparaît presque sous vos yeux, laissant un nom énigmatique aiguiser tous vos sens : hibakusha. Il faudra longtemps pour que Delporte décrypte le message et plus encore pour qu'il comprenne le rap­port entre les morts d'Hiroshima et la pai­sible cité liégeoise toute à ses affaires. Un gentil polar qui n'a pas peur de l'accent wallon.

Nicole Widart