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Critiques de livres

Gil Honoré et Carmelo Virone
AIUD/G. Honoré architectes + Carmelo Virone écrivain
Fourre-Tout - CIVAS
2006
176 p.

Quand un écrivain rencontre un architecte
par Daniel Arnaut, René Begon, Henri Deleersnijder, Laurent Demoulin, Thierry Detienne, Joseph Duhamel, Francine Ghysen, Tanguy Habrand, Thierry Horguelin, Jack Keguenne, Severine Lebrun, Thierry Leroy, Jeannine Paque, Laurent Robert, Lise Thiry, Laurence Vanpaeschen, Nicole Widart, Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 147

Depuis la disparition des avant-gardes qui, comme le surréalisme, fédéraient des peintres, des poètes, des cinéastes et des photographes, les rencontres entre artistes de disciplines différentes sont devenues plutôt rares. La collection «Architexto» souhaite pallier modestement cette carence en mettant en présence architectes et écrivains. Certes, l'échange ne peut, par nature, être tout à fait équilibré, car, si un écrivain peut s'inspirer des réalisations d'un architecte, l'inverse est plus difficile à imaginer : comment traduire dans des plans une esthétique textuelle? Après Nicolas Ancion et Pascal Leclercq, Carmelo Virone s'est prêté à cette expérience originale en allant à la rencontre de l'architecte Gil Honoré, fondateur du bureau AIUD. Il en résulte un très joli petit livre blanc composé de textes rédigés en français, en anglais et en russe, d'illustrations diverses, de photographies de bâtiments réalisées par Marie-Noëlle Dailly et d'une photographie artistique de Pierre Houcmant.

L'exercice a permis à Carmelo Virone de manifester les diverses facettes de son talent d'écrivain. Sa contribution à l'ouvrage est triple et se compose d'un conte philosophique, de poèmes et d'une participation à l'écriture des textes où Gil Honoré commente ses réalisations. Le conte philosophique ouvre le livre et s'intitule «La cérémonie des prescrits». D'après la quatrième de couverture, le point de départ du récit provient des récriminations de Gil Honoré envers les règlements administratifs tatillons qui freinent la créativité architecturale. Mais Carmelo Virone ne s'est pas arrêté à l'aspect anecdotique de cette situation et l'a transcendée dans un récit intemporel. Ainsi, le conte acquiert une dimension philosophique et se transforme en une vibrante ode à la liberté. Le récit, parfaitement mené, obéit par ailleurs aux règles du genre, qui veulent que les personnages importent moins que l'enchaînement rapide et surprenant des événements. On y retrouve aussi le regard décalé et ironique porté par le narrateur sur sa narration et la critique satirique du pouvoir : Voltaire, décidément, n'est pas loin. Et pourtant, dans les dernières lignes, c'est un autre intertexte qui apparaît : le sourire mordant d'Arouet laisse place au rire optimiste et fracassant de François Rabelais. La seconde contribution, hélas trop peu développée, est faite de quatre brefs poèmes répondant aux photos de Dailly ou d'Houcmant. La liberté chantée dans le conte est ici mise en pratique dans l'usage même de la langue. Virone y joue des mots et des expressions un peu à la façon d'Apollinaire : «À bouche que veux-tu. / À langue d'endormie. / À salive sucrée. / Au chocolat des reines. À morsure. À désir. À caries» chante l'un d'eux. Ainsi s'entrechoquent les mots et les photos en évitant l'écueil de la redondance.

Quant à la dernière contribution, elle est certainement plus difficile à juger. Gil Honoré déclare en fin de volume que Carmelo Virone l'a «aidé à structurer la communication écrite de l'atelier et posé un regard neuf sur les réalisations effectuées jusqu'alors». Notre incompétence en matière architecturale nous empêche de commenter le travail qu'expose Honoré, mais cette même incompétence nous permet de juger de la qualité de la communication, car l'architecte s'y explique explique avec clarté et franchise et il ne semble pas s'adresser particulièrement à ses pairs mais à toute personne douée de curiosité. Et, parmi les critiques du Carnet, chacun sait que Carmelo Virone est un orfèvre du travail d'équipe et un maître dans le périlleux exercice qui consiste à aider l'autre à exprimer au mieux par écrit ce qu'il désire dire, à amener au jour ce qui dormait confusément dans l'ombre d'un encrier.