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Critiques de livres


Eddy DEVOLDER
Hugo Pratt
Esperluète Ed.
2003
205 p.

En compagnie d'Hugo Pratt

Eddy Devolder a bien de la chance. Il a été très proche du créateur de Corto Maltese pendant cinq ou six ans, de la fin des années 80 à sa mort en août 1995. C'est le récit de ce compagnon­nage professionnel devenu amical, qu'il nous raconte dans un livre tout simplement appelé Hugo Pratt. Le titre n'est d'ailleurs pas très heureux, le lecteur pouvant croire qu'il s'agit d'une biographie du dessinateur vénitien.

En janvier 1976, l'étudiant déjà passionné de BD découvre La Ballade de la mer salée. Ce n'est pas le premier album de Pratt, alors âgé de 49 ans, mais celui où apparaît, dans un rôle secondaire, le marin maltais. C'est le coup de foudre. Et, coup de chance, l'auteur est annoncé quelques mois plus tard à la Foire du Livre de Bruxelles. De cette ren­contre naît un article publié dans une revue d'art où il est question des rapports entre le travail de Pratt et la peinture. Ce n'est pourtant que douze ans plus tard, malgré une rencontre fortuite sur la grand-place de Tournai, que Devolder reprend contact avec son idole. Pour ne plus le lâ­cher. L'occasion est une exposition qui lui est consacrée au Centre de la gravure de La Louvière. Mais Pratt rechigne à confier des planches originales et il faut toute la force de conviction de son jeune admirateur, qui lui promet en outre une belle plaquette, pour l'en convaincre.

Dès lors, ils vont régulièrement se voir, à Cordoue — où a grandi Corto, qui revient de temps en temps saluer sa mère et ses amis —, à Saint-Malo, à Paris, à Rome ou à Grandvaulx, dans la belle maison qui sur­plombe le Lac Léman. Si le dessinateur charge à plusieurs reprises son jeune ami de transporter des originaux pour des exposi­tions, s'ils nourrissent le projet d'un livre biographique, c'est surtout, à chaque fois, l'occasion de relancer leur amitié. Tout cela, Eddy Devolder le raconte avec simplicité et amusement, laissant Pratt ra­conter et se raconter. « Enfant, il rêvait de devenir écrivain, note-t-il. Un jour, en re­gardant le dessin de Milton Caniff, il s'est rendu compte que le dessin possédait une syntaxe, une grammaire. » Ensemble, ils parlent abondamment de Corto Maltese. « II n'est ni un héros, ni un antihéros, mais un médiateur, précise son créateur. Il relaie des histoires. Il se trouve toujours dans des situations qu'il subit plu­tôt qu'il ne les oriente. Il ne dirige rien. Je ne veux pas provoquer l'identité du lecteur avec lui. Ce que je cherche, c'est provoquer le désir de se promener avec lui, de vivre à côté de lui. »

Né à Malte parce qu'au moment où il a été créé, l'île accédait à l'autonomie, ce person­nage fascinant trouve ses racines fictionnelles à la fois dans la jeunesse agitée et dans la profonde culture, littéraire et autre, de Pratt. « Je voulais qu'il soit un Ulyssien et qu'il me donne la possibilité de raconter l'Odyssée à ma manière », avoue-t-il. C'est probablement parce que, d'une certaine manière, il y est parvenu, que ce héros de papier est l'un des rares à avoir acquis, dans la BD moderne, le statut de mythe.

Michel Paquot