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Critiques de livres


Thomas GUNZIG
Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu
nouvelles
Paris
Julliard
1997
154 p.

Plongée dans le vide d'une époque

Voilà un recueil de nouvelles qui, non seulement glace le dos, mais aussi pose des questions éthiques. Au lecteur. Thomas Gunzig, en tant qu'au­teur, ne les énonce pas. Il se contente d'in­venter des histoires, d'en organiser le récit, de jouer avec les mots. Il met en scène une époque — la nôtre — où la brutalité infeste les rapports (sexuels ou non), où les valeurs n'ont plus cours et le vide remplit chacun. Les personnages qui sont de purs produits de ce temps ne réagissent qu'en gestes rudimentaires (violents), pensent à peine et ne prennent surtout pas de distance. Cette distance, c'est l'auteur qui la place de différentes manières, plus ou moins sub­tiles, plus ou moins ambiguës. Il sur-écrit ses nouvelles en filant des métaphores — dans « La dernière intraveineuse de Jean-Pierre X », un homme perçoit son rapport au monde de manière champignonnesque —, en réanimant des expressions figées (« prendre son pied marin »...), en mélan­geant la rhétorique des contes et un parler familier ou ultra-contemporain (dans « Elle mettait les cafards en boîte »). Il prend plai­sir à inventer des épisodes tordus qui dé­tournent les chemins pour arriver à la fin de l'histoire. Ainsi pour permettre au narrateur émasculé de « Sélection naturelle » d'assou­vir son phantasme, bricoler Minitrip, il fau­dra une croisière, un naufrage, deux survi­vants, une île déserte, un complexe d'infériorité, un soleil brûlant à mort et un corps sans vie.

Dans « Gentils organisateurs », il pousse jusqu'au bout le système qu'il a inventé, sans jamais dire ce qu'il en pense, sans qu'aucun personnage n'émette de jugement. Alors, la distance semble immense, comme si l'auteur s'était totalement éclipsé. Dans cette nou­velle, nous aurions voulu du sens, une prise de position, un choc de plein front. Quelques personnes participent à un jeu, pour entretenir la mémoire de l'holocauste, un jeu qui serait « une forme de résistance contre la résurgence de la saloperie respon­sable et de lutte contre le malheur consé­quent ». Chacun des participants a reçu un mot secret. S'il le révèle aux gestapistes, il meurt (pour du faux)... il a perdu et peut rentrer chez lui... Tout ce dispositif n'est qu'un jeu pour se souvenir, un jeu de rôle, ne l'oublions pas... Sauf que les corps sont vraiment torturés et la mort peut être portée si aucun aveu n'est fait : si on gagne, on part en fumée... Est-ce qu'il n'y a pas d'autres moyens de se souvenir ? Est-ce que les lieux, les livres, les témoignages ne suffisent pas Si je souffre en jouant, connaîtrai-je vraiment la souffrance de l'autre ? S'il faut absolument revivre le mal subi par l'autre pour se remé­morer, à quoi sert l'art ? Ces interrogations en pagaille, les autres qui en découlent, qui y ressemblent, Thomas Gunzig ne les aborde pas. Elles nous vien­nent pourtant. Peut-être que son texte de­vait aboutir à cela. Ou peut-être qu'il n'est qu'une critique (radicale) d'une société (du spectacle) capable d'inventer un tel procédé pour se souvenir. C'est déjà beaucoup, sans être assez. Certains sujets demandent plus que d'autres...

Michel Zumkir