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Critiques de livres


Gaston COMPERE
In Dracula memoriam
postface par Jacques Finné
Bruxelles
Le Cri
1998
230 p.

Bon sang ne peut mentir

"Rédiger ce récit m'a offert une des joies les plus vives que j'aie jamais connues sur cette ter­re", confie le narrateur. On soupçonnera Gaston Compère, qui lui tenait obligeam­ment la plume, d'être du même avis. De telle sorte que Jacques Finné, à qui rien de vampirique ne semble étranger, a bien rai­son d'intituler sa postface :   « Quand vam­pire rime avec rire ».

Dans cette « chronique vampirique véni­tienne, parisienne et condruzienne », le lec­teur découvrira les charmes discrets du quinquagénariat et ceux, douillets, du cer­cueil Z14 ; il versera des larmes hypocrites sur la malnutrition des vampires, aux déplo­rables effets quant à leur avenant physique ; il ne s'étonnera guère de l'amour éperdu que le vampire voue aux cimetières et de l'aversion qu'il éprouve envers la lumière et la chair des poissons ; peut-être s'étonnera-t-il davantage de la noria ininterrompue de disparitions et de résurrections : quand les mortes ne le sont pas tout à fait, ou ne le sont que très fugitivement, quitte à piloter, jusqu'à ce que mort ne s'ensuive pas, de puissantes automobiles à tout berzingue... In Dracula memoriam : où l'on apprend que les vampires ne dédaignent ni les jeux de mots laids (« mettez-vous à table, ou je vous fais déguster », et ailleurs, ce compliment à une fille à la poitrine pigeonnante : « Vous soutenez parfaitement ce que vous avancez »), ni les mollets des Vénitiennes (« les artisans de jadis avaient dû s'inspirer de semblables mollets pour profiler les jambes de leurs tables... »). Où se trouve décrite l'ébouriffante autopsie pratiquée par le mé­decin légiste Pierre Carmel (ouh là ! serait-ce un récit à clés ?) sur le cadavre d'une noyée dont les mains sont clouées au fond de son cercueil. Où une visite impromptue au 169bis de la rue Jean-Paul Sartre à Liège fournit l'occasion de rabattre le caquet principautaire : « Contre toute évidence, les Lié­geois tiennent leur ville pour la plus remar­quable de Belgique, leur université, pour la première d'Europe, leurs filles, pour les plus jolies du monde. » Où l'on tombe ou non d'accord avec l'opinion du narrateur sur le polar : « c'est de la merde. » Où l'on fera la hideuse connaissance de Rolande Pavot, Présidente de la Ligue des Lesbiennes Libé­rées. Où se liront, au subtil hasard des in­tertextes, des slogans de mai 68, Rimbaud, Faulkner, Sartre, Chamfort et La Rochefoucauld. Où seront brocardées les « affligean­tes maisons dites de culture. Le mot palais est réservé au caoutchouc et à la chaus­sette. » Où ne seront pas évoqués, sinon par l'ellipse immensément frustrante, les repas d'un vampire souvent affamé : « Je me sen­tis soudain une faim aiguë et sortis. » Où la goinfrerie d'un (une ?) vampire femelle le (la ?) tuera, victime dune perforation d'es­tomac : elle avait avalé les trois clous du crucifié ! Où la syntaxe — comme on la comprend ! — ira jusqu’à perdre la boule : « Plus personne, et vous moins que toute autre, n'aurez (sic) l'occasion de m'avoir. » Où un vampire érotomane se prémunira d'éventuels jaloux en portant un gilet pare-balles, comme un frileux sa damart : juste retour des choses pour un vampire cabotin et cocufiant-cocufié — rien d'étonnant : il n'aime rien tant que les filles corrompues (« Loredana exhalait l'odeur même de Ve­nise »), à consommer fût-ce derrière l'autel d'une chapelle privée. Où un vampire se pique de philosopher, pontifie et moralise à la petite semaine : « Mes enfants, ayez pour votre estomac la plus grande déférence et la plus vive affection : il vous garantit souvent une âme de qualité. » Où un vampire cy­nique (« II n'y a rien ni personne qui ne s'achète ») se défend mollement de faire montre d'un assez répugnant machisme : « Les femmes ont bien des défauts, elles mentent, elles trompent, elles fainéantisent, elles envient, elles s'irritent, elles méprisent [...]. Leurs activités ignobles sont innom­brables, en quoi elles nous ressemblent mais avec, le plus souvent, moins de franchise et plus de prudence. »

La table des matières qu'on vient de lire ne prétend évidemment pas à l'exhaustivité, tant tout cela est conté d'une plume paro­dique et diablement pétaradante.