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Critiques de livres

Jardins avec vue

Par la fenêtre, le bleu des scilles de Si­bérie fait étinceler les ocres des giro­flées odorantes. Le printemps tarde mais quelques « scènes » de jardin pour­raient assurément vous réconcilier avec le temps gris et maussade. Sur la table, les magazines rivalisent à coup de mises en scènes florales luxueusement photographiées dans des lumières étudiées pour nous donner le goût de l'été, du soleil, irrémédiablement acoquinés avec l'idée du bonheur et des vacances. Il ne s'agit nullement de ces portraits luxu­riants, souvent baroques et faciles — c'est la mode —, dans la plaquette de poésie que Françoise Favretto a intitulée Jardins. Pas question de renchérir sur les bleus à la Monet, sur les nymphéas et autres capu­cines.

Par la fenêtre, Jardins de ma mère, Travaux de mon père mettent en jeu un couvercle de lessiveuse fiché sur une roue de vélo, une petite bouteille de plastique qui traîne, un pot de confiture moisie sous la gouttière, poussette, bocaux, ferrailles, la vie sans splendeur des jardins, l'hiver. L'envers du regard : tous ces petits riens, ces fils de plas­tique arrachés, ces journaux froissés à terre, ces objets rouillés, que les « stylistes » des magazines feraient disparaître, donnent aux descriptions elliptiques de Favretto la chair étrange du réel. Ce sont ces laideurs du quotidien qui soudain, à contrario de l'es­prit du temps, nous mènent vers la poésie, vers le partage d'un univers faussement naïf, irréel et touchant. C'est l'odeur des figuiers, quand on les touche, celle des chevaux, du feu de bois. C'est le frisson d'un chien qui se secoue, les cris de corbeau, les craque­ments des bâches en plastique sous les pas. Et, peu à peu, la reine-marguerite nous trouble plus avec son cœur de mousse sombre et ses pétales noirs flétris que du temps de sa maturité. Les peaux desséchées des tomates crevées, les radis qui atteignent la taille des betteraves, le dernier melon ter­reux, les poivrons évanescents aux entrailles pourries en disent beaucoup, beaucoup plus...

Près de l'atelier du père, l'univers se pré­cise : bidon vert acide « Total Agir », go­dillots de toile « Wissart », ciment collé dans la brouette rouge, cartons à brûler... Les objets délaissés racontent à petits mots une histoire, celle d'un quotidien où les tra­vaux et les jours passent au rythme du chant de la terre. Enumération d'objets sans va­leur, accumulation de mots, les gestes et les images suivent. Tout naturellement. On est à peine surpris par le climp du verrou de la lourde porte et l'arrivée du chai en mai, em­preinte de légèreté et de promesses de bon­heur, qui laissent à l'arrière-plan la fine couche de lie de vin séchée dans le seau gris...

Nicole Widart

Françoise FAVRETTO, Jardins, Albatroz -Atelier de l'Agneau, 1998, 60 p.